Droit et politique

Place de la santé dans les plans nationaux d’adaptation des pays en développement

Le climat et la santé, une bombe à retardement

Les changements climatiques représentent un des plus grands défis de l’histoire de l’humanité. Ils remettent en cause le droit à la santé, qui est un droit fondamental de l’être humain (OMS et Santé Canada, 2021). Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les changements climatiques causeront, d’ici la fin de la décennie actuelle, 250  000  décès supplémentaires par an, en lien avec la malnutrition, le paludisme, la diarrhée et le stress thermique (OMS, 2014). Dans ces conditions, la mise en place de mesures d’adaptation en santé publique s’avère prioritaire si l’on veut protéger la santé et le bien-être de la population. Cela passe notamment par la conception de plans nationaux d’adaptation (PNA) pertinents et efficaces (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, 2015).

Au cours de la 26e Conférence des Parties à Glasgow, en 2021, certains États se sont engagés, dans le cadre de l’Alliance for Transformative Action on Climate and Health (ATACH), à rendre leur système de santé résilient face aux changements climatiques (OMS, 2023). Afin de les aider dans la bonne réalisation de cette entreprise, l’OMS a défini des critères de qualité applicables aux plans nationaux d’adaptation sanitaire (PNAS) (OMS, 2021). Ces critères concernent l’esprit d’initiative et l’environnement favorable ; la coordination intersectorielle et la cohérence des politiques ; le traitement exhaustif des risques sanitaires sensibles au climat ; le traitement exhaustif des options et des mesures d’adaptation ; la dotation des ressources et enfin, le suivi, l’évaluation et la communication des résultats. L’objectif de cet article est de présenter une évaluation comparative des PNA soumis à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) par différents pays. Ce type d’analyse permet de mettre en lumière les ressemblances, les dissemblances et surtout, la conformité du contenu de ces plans avec les normes admises.

Dans un premier temps, nous procéderons à une définition des concepts et à une brève revue des liens entre santé et adaptation. Par la suite, nous présenterons l’approche méthodologique choisie avant de commenter les résultats. Pour finir, nous formulerons quelques recommandations.

Santé humaine, adaptation et plans nationaux d’adaptation

La santé est «  un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité  » (OMS, 1948). Elle peut donc être perturbée de plusieurs manières par les changements climatiques. Il peut s’agir d’une altération de la santé physique : la progression constante de la maladie de Lyme au Canada, où le nombre de cas diagnostiqués a augmenté de 1  844  % au cours de la dernière décennie, en est une illustration éloquente (Gouvernement du Canada, 2022), sans compter l’altération de la santé mentale en lien avec le stress, l’anxiété et la dépression (OMS et Santé Canada, 2021). Enfin, sur le plan social, les changements climatiques entravent l’atteinte des objectifs de développement durable en lien avec l’exacerbation de la pauvreté et des inégalités, notamment pour les populations et zones géographiques vulnérables (OMS et Santé Canada, 2021).

Pour répondre aux conséquences sanitaires des changements climatiques, il est crucial d’évaluer les forces et les vulnérabilités des systèmes de santé afin de planifier les modifications nécessaires pour accroître leur résilience2. Dans cette perspective, nous avons jugé intéressant d’étudier si et comment la santé publique est prise en compte dans le processus des plans nationaux d’adaptation dans le but de formuler éventuellement des recommandations afin de les améliorer.

Méthodologie

Dans le cadre de cet article, nous avons choisi d’inclure les pays membres de l’ATACH, car cette organisation est à ce jour, à notre connaissance, la seule émanation d’une institution à vocation universelle dont l’objectif est d’accroître la résilience des systèmes de santé aux changements climatiques. Les pays choisis sont ceux qui se sont officiellement et librement engagés dans le cadre de l’ATACH et qui ont respecté cet engagement en soumettant un plan à la CCNUCC. Il s’agit du Togo, de la Sierra Leone, de Madagascar, du Kenya, de l’Éthiopie, du Cap-Vert, de la République centrafricaine, du Sri Lanka, des Fidji, du Libéria, du Népal, du Burkina Faso et de la République démocratique du Congo (Figure 1). Bien que le nombre de pays inclus soit faible, cette méthodologie est pertinente dans la mesure où tous sont des pays en développement particulièrement vulnérables aux conséquences sanitaires désastreuses de la crise climatique.

Figure 1. Localisation géographique et données démographiques des pays
Données Banque mondiale 2021

Nous avons collecté les données en lien avec la santé à partir d’une lecture minutieuse et rigoureuse des PNA et nous les avons ajoutées dans une feuille de calcul Excel. Pour chaque élément du contenu correspondant à un critère de qualité, nous avons ajouté une ligne dans la feuille de calcul et nous avons créé une colonne pour chaque pays afin de visualiser les résultats et de créer des graphiques et des tableaux. Nous avons enfin procédé à une analyse interprétative des résultats que nous présentons dans la section suivante.

Résultats

La santé seulement au cinquième rang des priorités d’adaptation ?

La majorité des PNA analysés (12/13) ont identifié la santé comme un secteur prioritaire et particulièrement vulnérable. Toutefois, si tous les pays ont opté pour une approche secteur par secteur dans la conception de leur plan, trois d’entre eux n’ont pas consacré de chapitre à la santé, et la santé n’est en moyenne qu’au cinquième rang des priorités. Le tableau 1 présente une synthèse des autres résultats.

Tableau 1. Place de la santé dans les PNA. Nombre de PNA analysés comportant l’indicateur et pourcentage du total de PNA analysés (sur 13).

Parmi les pays ayant présenté l’objectif de l’adaptation en santé, certains se contentent de présenter de manière générale les objectifs de leurs politiques nationales de santé (Togo). D’autres mentionnent des programmes de lutte contre les conséquences sanitaires des changements climatiques avec des objectifs pour chaque programme, sans que cela mette nécessairement en perspective une vision globale (Népal). D’autres encore présentent des objectifs stratégiques qu’ils décrivent en prenant en compte le contexte local (Madagascar, Kenya, Éthiopie, Fidji, Burkina Faso). Ce panorama montre que même lorsque les objectifs d’adaptation sanitaire sont mentionnés, il existe des disparités en matière de précision.

Aucun des 13 PNA analysés ne présente un taux de réalisation de 100 % par rapport aux indicateurs identifiés. Ce résultat pourrait s’expliquer par le fait que ces États sont pour l’essentiel des pays en développement qui ne disposent pas de moyens techniques suffisants pour mener à bien le processus d’élaboration des PNA. Des progrès restent à faire sur plusieurs indicateurs, notamment en matière de précision sur les besoins, les mesures et le rôle des acteurs en santé dans les politiques d’adaptation. Si l’on convient qu’un PNA uniquement consacré à la santé aurait le mérite d’avoir un niveau de précision plus élevé, seule la République centrafricaine mentionne dans son PNA un PNAS en cours de préparation. Enfin, de nombreux risques sanitaires n’ont pas été pris en compte dans les PNA analysés, enjeu que nous abordons dans la section suivante.

Les zoonoses et les maladies mentales, les grandes oubliées de l’évaluation des risques sanitaires

Seulement 9 PNA sur 13 font une évaluation complète de la vulnérabilité du pays par rapport aux risques sanitaires (Tableau 2). De plus, pour la quasi-totalité d’entre eux, cette évaluation est très sommaire, basée sur des données mondiales plutôt que nationales et en tenant peu compte de la situation précise du pays.

Tableau 2. Évaluation de la vulnérabilité des pays face aux risques sanitaires. Nombre de PNA analysés comportant l’indicateur et pourcentage du total de PNA analysés (sur 13).

Plusieurs PNA décrivent une méthodologie pour l’évaluation des risques sanitaires (Madagascar, Fidji) qui permet une meilleure compréhension de la vulnérabilité. Toutefois, la plupart des PNA analysés pourraient être améliorés par l’utilisation de données contextuelles, la mise en place de bases de références et de projection ainsi que d’une méthodologie claire. De même, les liens entre le choix des mesures d’adaptation et les vulnérabilités identifiées gagneraient à être mieux précisés. Ces résultats s’expliquent probablement par le fait que les États manquent de moyens, d’expertise et de données exhaustives sur le plan national sur les risques sanitaires. Le PNA de la République démocratique du Congo fait particulièrement écho à cette réalité. En effet, le plan de ce pays reconnaît explicitement la nécessité de mises à jour régulières, de renforcement des capacités humaines et institutionnelles pour accroître la recherche, l’analyse, la gestion des données et pour combler les lacunes existantes. Ce plan reconnaît également l’impérieuse nécessité de produire des informations et des évaluations de vulnérabilité utiles à la prise de décision à l’aide de méthodologies claires, organisées, harmonisées et vulgarisées. Il en est de même pour le PNA des Fidji, qui mentionne des barrières informationnelles, technologiques, institutionnelles, financières et économiques à la mise en œuvre du PNA. Ceci est particulièrement important dans la mesure où ces barrières peuvent, en l’absence de moyens pour les surmonter, reléguer la santé au second plan en matière de politiques d’adaptation.

Au-delà de ces insuffisances mentionnées plus haut, tous les plans mentionnent des risques sanitaires liés au climat. Il ressort de notre analyse que les risques les plus mentionnés sont les maladies vectorielles et hydriques. Les figures 2, 3 et 4 présentent la répartition des risques sanitaires sensibles au climat qu’on peut trouver dans les PNA.

Figure 2. Répartition des risques sanitaires liés au climat
Figure 3. Répartition des maladies vectorielles mentionnées dans les PNA
Figure 4. Répartition des maladies hydriques mentionnées dans les PNA
Figure 5. Répartition des principales mesures d’adaptation en santé en lien avec les risques sanitaires

Ces résultats montrent que les zoonoses et les maladies mentales sont parmi les risques sanitaires les moins représentés dans les PNA. Ceci est paradoxal quand on considère la recrudescence des zoonoses au cours des dernières années dans la plupart de ces pays et les nombreuses épidémies en cours (OMS, 2022). De même, les ravages des maladies mentales liées aux phénomènes météorologiques extrêmes et autres manifestations des changements climatiques sont très peu pris en compte dans ces PNA. Pensons par exemple aux migrations climatiques liées à la destruction des habitations, du milieu de vie et des activités économiques des habitants de ces pays, en particulier ceux des zones rurales défavorisées. Ces évènements sont vecteurs de nombreuses maladies mentales qui représentent un problème majeur de santé publique.

L’étape de l’identification des risques sanitaires doit être suivie par la définition de mesures d’adaptation pour y répondre. Dans la prochaine section, nous analysons l’adéquation des mesures présentées dans les PNA aux risques identifiés.

Des mesures d’adaptation insuffisantes

Idéalement, les PNA doivent contenir des options d’adaptation qui s’inscrivent à moyen et long terme. La figure 5 représente la répartition des principales mesures d’adaptation en santé en lien avec les risques identifiés.

Dans les PNA analysés, les mesures choisies concernaient par exemple le renforcement de la surveillance des maladies, leur prévention, leur traitement, l’intensification de la recherche scientifique (Burkina Faso, Cap-Vert), l’amélioration de l’accès à l’eau potable (RDC), la modélisation de l’incidence des maladies (Sri Lanka), la construction d’infrastructures de santé résilientes aux changements climatiques (Éthiopie, Népal), le renforcement des systèmes d’alerte précoce (Madagascar). Toutefois, il existe un écart entre les risques climatiques identifiés et les mesures précises choisies pour y répondre. Par exemple, six PNA mentionnent la malnutrition comme une maladie climato-sensible, mais seulement la moitié proposent des options d’adaptation pour y remédier. De même, sur dix PNA qui identifient les maladies hydriques, seulement sept mentionnent les mesures pour y répondre. Enfin, la riposte aux zoonoses et aux maladies mentales est pratiquement inexistante dans ces mesures.

Dans notre étude, tous les PNA mentionnent des groupes précis de la population considérés comme prioritaires en matière de mesures d’adaptation en santé. Il s’agit principalement des populations rurales (11), des femmes (10), des personnes à faible revenu (10), des jeunes (9) et des personnes avec un handicap (8). Afin de protéger la santé de ces populations vulnérables, l’OMS suggère que les mesures identifiées dans les PNA prennent en compte les cobénéfices en santé, prévoient des ressources suffisantes pour la mise en œuvre et soient l’objet d’une évaluation périodique.

Des cobénéfices peu mentionnés, des ressources et un suivi insuffisants

Nous n’avons identifié que trois PNA (Sierra Leone, Madagascar, Cap-Vert) qui mettent clairement en évidence les cobénéfices en santé des mesures prises dans les autres secteurs. De même, seuls huit PNA ont calculé le budget nécessaire pour la mise en œuvre des mesures d’adaptation en santé, ce qui correspond à une moyenne de 67,5 millions de dollars. Enfin, seulement trois PNA ont défini des indicateurs de suivi des progrès de l’adaptation en santé (Éthiopie, Sri Lanka, Burkina Faso). À titre d’exemple, le Sri Lanka a identifié comme indicateur le nombre d’études de recherche menées sur les liens entre la santé et la crise climatique.

Recommandations

Il existe une limite à notre recherche qui tient à l’hétérogénéité des PNA en ce qui concerne la structure et la méthodologie, rendant ainsi l’analyse fastidieuse. Cette limite a été surmontée par une lecture minutieuse des PNA, une collecte rigoureuse des données et une analyse interprétative systématique des résultats sur la base desquelles nous formulons les recommandations suivantes :

Recommandation 1 : Mettre en place un mécanisme international pour apporter une expertise technique aux pays dans le processus d’élaboration des PNAS.
Recommandation 2 : Accroître la participation du ministère de la Santé dans les processus des PNA afin d’améliorer la compréhension des conséquences sanitaires de la crise climatique et leur prise en compte.
Recommandation 3 : Améliorer les PNA par l’identification exhaustive des risques sanitaires, des données contextuelles et des mesures d’adaptation sanitaires cohérents.
Recommandation 4 : Prévoir une stratégie de mobilisation des ressources et des fonds nécessaires pour mettre en œuvre les mesures et pour lever les barrières informationnelles, technologiques et institutionnelles.

Note: L’auteur est récipiendaire de la bourse d’excellence du Regroupement étudiant de maîtrise, diplôme et doctorat de l’Université de Sherbrooke (REMDUS)

C’est la capacité d’une communauté humaine ou d’un système de santé exposé à des aléas de résister à leurs conséquences négatives, de les résorber, de s’y adapter, de se transformer et de s’en relever rapidement et efficacement (OMS et Santé Canada, 2021).

Nos partenaires

Université de ShebrrookeGériqQuébecCUFEPIRESS
© Le Climatoscope Conception et programmation: Balise
Le Climatoscope