Sciences et technologies

Pollen et microbes : les défis de la vie urbaine face au changement global

Perte massive de biodiversité et accélération de l’urbanisation

La biodiversité, du plus petit des organismes au plus grand, permet aux écosystèmes de fournir d’innombrables services essentiels pour la santé des populations humaines (ex. : productivité végétale, qualité de l’air et de l’eau). Pourtant, Ripple et al. ont montré en 2017 que l’intensification actuelle des activités anthropiques (activités dues aux humains) provoque une diminution globale de la biodiversité. Aujourd’hui, la plupart des écosystèmes subissent des perturbations constantes liées aux modifications directes de l’habitat (ex. : l’urbanisation) et aux effets indirects du changement global sur les conditions abiotiques (ex. : la température). Les pertes de biodiversité et donc des services qu’elle nous procure menacent les écosystèmes et leurs habitants, y compris les humains, selon Anderson-Teixeira et al. en 2012. D’ailleurs, aucun écosystème n’évolue et ne se développe aussi rapidement que l’écosystème urbain. On estime que les personnes vivant en ville représenteront plus de 70  % de la population mondiale dans les 30 prochaines années (World Health Statistics, 2016). La synergie entre perte de biodiversité et urbanisation pourrait altérer la santé des populations humaines, entraînant alors des coûts substantiels de santé pour la société (Sandifer, Sutton-Grier, et Ward 2015).

Asthme, allergies, et activités anthropiques

On estime que 72  % de la population canadienne vit présentement dans une région métropolitaine de recensement (27 millions ; Statistique Canada, 2016) où l’expansion urbaine et les activités anthropiques sont une immense source de divers contaminants atmosphériques. La santé respiratoire des populations urbaines semble particulièrement en souffrir, alors qu’on assiste à une montée fulgurante des allergies et de l’asthme. La prévalence de l’asthme (Doucet et al., 2020) et des allergies (Canuel et al., 2021) est d’ailleurs en croissance au Québec. Les changements climatiques se font particulièrement sentir dans les villes en modifiant la temporalité et l’intensité de la saison pollinique, influençant ainsi la prévalence des allergies saisonnières. La photosynthèse et la reproduction des plantes sont stimulées par l’augmentation des niveaux atmosphériques de dioxyde de carbone (CO2), ce qui mène alors à une plus grande production de pollen. La prolifération des moisissures est également accrue par les inondations et l’humidité, menant à l’augmentation des risques d’asthme sévère. Les allergènes de pollen et de moisissure sont capables de déclencher la libération de médiateurs pro-inflammatoires et immunomodulateurs, lesquels accélèrent l’apparition de troubles auto-immuns. La pollution atmosphérique pourrait également exacerber l’allergie au pollen et aux moisissures, augmentant ainsi les maladies respiratoires allergiques en ville (D’Amato et al., 2020). En milieu urbain, les espaces verts (ex. : parcs, boisés, pelouses, jardins, toits verts) sont associés à d’importants services écosystémiques, tels que l’atténuation des îlots de chaleur. Il nous reste cependant à déterminer comment les caractéristiques des infrastructures vertes urbaines (composition, densité, diversité) et leurs émissions (ex. : pollen, microbes, composés organiques volatils [COVs]) influencent la santé respiratoire.

Deux hypothèses liées aux expositions microbiennes ont été explorées pour expliquer la prévalence plus élevée des troubles à médiation immunitaire dans les pays développés : l’hypothèse de la fenêtre d’opportunité et l’hypothèse de l’hygiène (et son dérivé, l’hypothèse des vieux amis)

Hypothèse 1  : La fenêtre d’opportunité
À la naissance, les humains sont colonisés par des microbes, principalement des bactéries et des champignons. Au cours des trois années suivantes de la vie, le microbiote intestinal humain subit une succession de changements qui ont des conséquences importantes sur le développement du système immunitaire. Les trois premières années de la vie semblent représenter une fenêtre d’opportunité au cours de laquelle des altérations de la trajectoire de maturation de la communauté microbienne intestinale ont été rapportées chez des nourrissons, lesquels ont ensuite développé de l’asthme et des allergies. En effet, la perturbation du microbiote par la perte de microbes clés, la réduction de la diversité et les altérations des capacités métaboliques peuvent conduire à un état de déséquilibre écologique appelé dysbiose, lequel a été associé à des maladies immunitaires telles que l’asthme et les allergies.

Hypothèse 2  : Les vieux amis
L’hypothèse des vieux amis repose sur l’observation qu’une transmission accrue de microbes tels des virus, mycobactéries et micro-eucaryotes (ex. : protistes) variés venant de l’environnement et des espèces animales au sein d’une population non industrielle pourrait conduire à un moindre risque de développer de l’eczéma et de l’asthme. En effet, plusieurs études ont montré que dans les populations des pays industrialisés, le fait de grandir dans un habitat rural diminue le risque de développer des maladies immunitaires et inflammatoires.

Sommes-nous tous égaux devant les molécules aéroportées ?

Les particules aéroportées (transportées par l’air), ainsi que la façon dont leur identité, leur source et leur concentration diffèrent d’un quartier à l’autre, sont des composantes souvent négligées par l’étude de la santé de la population. Par exemple, l’exposition à de grandes diversités végétales et microbiennes (notamment sur la peau humaine) a été liée à une diminution du risque de développer de l’asthme et des allergies par le biais de la maturation du système immunitaire (voir Encadré 1). Aussi, la stratification sociale et économique dans l’accès à la diversité des infrastructures végétales (ex. : parcs, jardins, boisés, toits verts) a été détectée en 2000 et souligne l’importance de considérer les inégalités sociales dans l’étude des populations urbaines (voir Figure 1). De nombreuses instances locales et gouvernementales ont récemment investi dans la plantation d’arbres. Toutefois, si les nouvelles allocations suivent les tendances passées favorisant les quartiers ayant un statut socio-économique plus élevé (voir Figure 1), cela pourrait compromettre les bénéfices potentiels pour la santé humaine en ville. Une étude réalisée par Claudio et al., en 2006, dans des écoles publiques du primaire de la ville de New York, a estimé que les enfants vivant dans des régions à faible statut socio-économique présentaient un risque accru de 70 % de souffrir d’asthme, indépendamment de leur origine ethnique et de leur revenu familial personnel. Ainsi, ne pas prendre en compte la distribution des espaces verts selon le statut socio-économique pourrait limiter grandement les bénéfices de l’augmentation de la densité et de la diversité végétale dans les villes. Deux études, menées par Roy et al. en 2003 et Alenius et al. en 2009, ont expérimentalement démontré un effet positif des microbes aéroportés des milieux ruraux sur la santé immunitaire. Il semble donc important de poursuivre les efforts de recherche afin d’identifier clairement le rôle des espaces verts, des microbes et des autres particules aéroportées telles que le pollen sur la santé des populations.

Figure 1. Pourcentage de la surface attribuée à des espaces verts en fonction du statut socio-économique pour plusieurs villes canadiennes (Institut canadien d’information sur la santé [ICIS], 2011)

Le pollen

Le pollen, une particule de reproduction sexuée des plantes, est reconnu comme un allergène, c’est-à-dire une substance essentiellement inoffensive capable de déclencher une réaction allergique chez les personnes sensibilisées. Les allergies aux pollens sont un problème de santé publique qui est exacerbé par les espaces verts en milieu urbain, lesquels peuvent augmenter la charge pollinique totale et le fardeau communautaire de la rhinite allergique. Ces allergies sont souvent saisonnières, et les individus peuvent être allergiques aux pollens de différents types de plantes (ex. : arbres feuillus, conifères, herbacées), de sorte que les symptômes peuvent s’aggraver à certaines périodes de l’année et dans certains endroits. Malheureusement, pour l’ensemble du Québec, il n’y a présentement que quatre stations de suivi quotidien du pollen (deux à Montréal, une à Québec et une à Sherbrooke), ce qui limite grandement notre capacité de prédiction et de compréhension des patrons d’émissions. La durée de suspension aérienne des pollens dépend de plusieurs facteurs, comme la morphologie du pollen, l’humidité, le vent et la pression atmosphérique. Les pollens se lient également à des particules fines associées avec le transport routier (ex. : bromure, chlore, antimoine), ce qui pourrait influencer leur potentiel allergénique.
Au Québec, les pollens de l’herbe à poux, des graminées, du pin et du bouleau sont particulièrement abondants (Figure 2). Le pollen du bouleau est normalement produit au printemps alors que le pollen de l’herbe à poux et des graminées est produit vers la fin de l’été. La diversité des pollens urbains devrait normalement varier autant que la végétation environnante. Cependant, la biodiversité végétale urbaine est plutôt faible. Il est fort intéressant de souligner qu’à Montréal, il a été remarqué par Sousa-Silva et al., en 2021, que quatre espèces d’arbres représentent 50 % de la canopée et que ces espèces ont un fort potentiel allergénique : l’érable de Norvège (~15 %), l’érable argenté (~15 %), le frêne (~15  %) et le tilleul à petites feuilles (~5 %). De plus, on plante préférentiellement des arbres mâles, car les arbres femelles produisent plus de fruits, dont les débris sont coûteux à nettoyer. Les arbres mâles produisent et libèrent cependant plus de pollen, ce qui accentue la rhinite allergique des populations locales.

Figure 2. Calendrier de la moyenne des pollens les plus abondants à Sherbrooke, en Estrie, dans les années 2006 à 2008, compilé par la professeure Elisabeth Levac (Bishop’s). Blanc pour généralement absent, gris pâle pour concentrations faibles à modérées, gris pour fortes concentrations et gris foncé pour concentrations extrêmement élevées. (Version modifiée de Levac [2011]).

Une étude réalisée à Bruxelles a estimé, à partir de différents scénarios, que l’effet gagné en enlevant l’espèce d’arbre la plus allergénique dans un espace vert en milieu urbain sera annulé par l’effet des changements climatiques sur les autres espèces, qui augmentera les concentrations des pollens et leur allergénicité (Aerts et al., 2020). Une autre étude, menée par Stas et al. en 2021, a montré que l’exposition aux infrastructures vertes, comme les prairies et les forêts, peut diminuer les symptômes d’allergies au pollen, mais cela seulement si la densité de la plante qui cause les allergies est faible. Il semble donc que certaines mesures stratégiques d’atténuation des allergies au pollen pourraient porter fruit, mais l’effet des changements climatiques demeure non négligeable.

Tableau 1. Seuils de concentration de pollen (en grain(s)/m3) de 2006 de l’American Academy of Allergy, Asthma & Immunology utilisés à la figure 2 (modifié de Levac [2011]).

Les microbes

Bien que la plupart des recherches sur la biodiversité urbaine se soient concentrées sur les plantes, les vertébrés ou les insectes, il est désormais reconnu que les communautés microbiennes colonisent et interagissent avec ces macro-organismes, influençant ainsi le développement du système immunitaire. L’influence positive de la végétation urbaine sur la santé humaine a largement été démontrée, mais cette végétation pourrait également jouer un rôle inattendu par le biais des communautés microbiennes qu’elle abrite. Les microbes (bactéries, archées, champignons, protistes, virus) représentent le plus grand réservoir de biodiversité urbaine, colonisant le sol, les plantes, les animaux, les insectes et les surfaces bâties (ex. : bâtiments). En ville, ils font partie de ce qu’on appelle le microbiote urbain, qu’on définit comme l’ensemble des organismes microbiens résidant ou transitant en ville. La plupart des recherches sur le microbiote urbain se concentrent sur l’environnement bâti (espace intérieur), laissant beaucoup à définir dans le microbiote extérieur. Le type d’utilisation du sol (ex. : forêt, rural, urbain) a un effet sur les communautés microbiennes aéroportées et des travaux récents ont démontré que la végétation locale influence la composition et l’abondance de la communauté bactérienne aérienne dans des environnements urbains et naturels. Les microbes sont uniques à bien des égards, notamment en raison de leur évolution rapide et de leur large dispersion, ce qui peut nuire à la santé humaine lorsque les microbes dispersés sont pathogènes. Par exemple, les mycètes (champignons) peuvent produire des spores qui ont un potentiel allergénique important.

Système immunitaire et microbiote

L’expansion des villes et les activités anthropiques qui s’y déroulent constituent une immense source de divers polluants atmosphériques, parmi lesquels beaucoup peuvent agir comme des agents exogènes interférant avec le système endocrinien des mammifères. Ces produits chimiques, ainsi que les macro et micronutriments, sont enrichis sur les feuilles des végétaux urbains par rapport aux végétaux non urbains, ce qui peut avoir un effet sur l’équilibre du microbiote des plantes. Il a été suggéré que la diversité des plantes environnantes influence la communauté microbienne des principaux bâtiments fréquentés par les humains (c’est-à-dire les hôpitaux, les écoles et les maisons). Une étude récente menée en Finlande par Roslund et al., en 2020, a démontré qu’une augmentation de la biodiversité végétale pendant 28 jours en ville, donc en ajoutant différentes plantes sur le terrain de centres de la petite enfance (CPE) ciblés, a diversifié les communautés microbiennes de l’intestin et de la peau d’enfants côtoyant ces CPE, ce qui a eu un effet positif sur leurs voies immuno-régulatrices. À la lumière de ces résultats, force est de constater qu’augmenter la biodiversité urbaine pourrait aider à réduire le risque de maladies à médiation immunitaire.

Conclusion

À la lumière de ces connaissances, il semble important d’améliorer le suivi des concentrations de pollen dans les villes et de travailler à identifier et à diminuer les facteurs exacerbant leur potentiel allergénique. De plus, bien que plusieurs recherches aient établi un lien entre l’exposition microbienne et le risque d’allergies et d’asthme, nous ignorons quel est le rôle du microbiote urbain pour la santé des populations humaines. Une meilleure compréhension de l’influence de la composition, de la densité et de la diversité des infrastructures vertes sur les particules aéroportées est nécessaire pour réduire la prévalence de l’asthme et des allergies en ville. Garantir une grande diversité d’espaces verts, comme la présence accrue de parcs où on aura choisi des plantes diversifiées et de faible risque allergique ou l’augmentation des jardins collectifs, dans les quartiers des populations à risque, afin de restaurer l’exposition à un ensemble diversifié de microbes et d’allergènes non dangereux pour la vie pourrait alors offrir un mécanisme direct visant l’amélioration de la santé. Il reste beaucoup à faire pour identifier les liens entre biodiversité, qualité de l’air et santé humaine afin d’éclairer la gestion durable des écosystèmes urbains, tout en nous efforçant de corriger les inégalités d’accès aux infrastructures vertes et à leurs avantages associés dans les villes.

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