La transition énergétique est en cours. Les énergies renouvelables offrent un kWh moins cher que les énergies fossiles presque partout au monde. Les marchés financiers anticipent le surplus d’offres et la chute de la demande pour les énergies fossiles à long terme, malgré les bouleversements géopolitiques, comme la guerre en Ukraine en 2022. Entre gouvernements et compagnies privées, les engagements envers la cible zéro-net émissions en 2050 se multiplient. Cependant, la communauté planétaire n’est pas encore sur la voie d’une décarbonisation profonde.
La transition énergétique s’avère donc être une occasion à saisir pour le Québec, c’est-à-dire réduire ses émissions de GES tout en créant des emplois et en propulsant l’économie de la province, afin que celle-ci s’adapte et tire profit d’une nouvelle réalité énergétique. On peut distinguer trois manières d’avoir un avantage stratégique dans la transition : premièrement, exporter de l’électricité ou des combustibles verts. Ensuite, contrôler des ressources naturelles nécessaires pour les énergies propres, comme le lithium et le cobalt. Enfin, prendre les devants dans les technologies, notamment pour le transport électrique — automobiles, trains, camions, y compris les batteries et bornes de recharge. Cet article explore, dans cet ordre, les perspectives pour ces trois stratégies au Québec d’ici 2050.
Exportation d’électricité
Le marché nord-américain d’électricité propre est voué à croître dans les prochaines décennies. Par exemple, d’ici 2030, les États-Unis visent à atteindre une électricité décarbonée à 100 %. Avec son énergie propre abondante, son environnement institutionnel et réglementaire stable, ainsi que son expertise, le Québec pourrait devenir un exportateur d’électricité propre de premier plan et profiter de cette demande grandissante. Le succès du développement de la filière éolienne témoigne d’ailleurs de la capacité de la province à mettre en œuvre de nouveaux développements énergétiques (Fournis, 2017). Dans cette perspective, il est important d’estimer la demande et l’offre prévues en électricité propre, de même que le potentiel apport des sources complémentaires comme le solaire et l’éolien.
Si le Québec veut atteindre ses objectifs climatiques tout en assurant sa prospérité économique, la province devra développer sa production d’électricité. Selon les estimations d’Hydro-Québec (HQ) en 2022, la demande en électricité devrait augmenter de 20 TWh d’ici 2029 et de 100 TWh d’ici 2050. En suivant la trajectoire des besoins actuels, la province aura besoin de nouveaux approvisionnements en électricité dès 2027.
En ce qui a trait à l’offre énergétique, la production électrique s’élevait à 212,9 TWh en 2019. Dans son plan stratégique 2022-2026, HQ vise à accroître sa capacité de production d’environ 10 % et mise sur l’efficacité énergétique pour augmenter son offre en énergie. En 2019, le bilan énergétique du Québec nous apprenait que 52 % de l’énergie québécoise était perdue à cause d’inefficacités lors de la transformation, du transport et de la consommation de l’énergie. La cible d’HQ pour 2032 est d’économiser 8,9 TWh d’énergie en faisant une utilisation plus optimale. Ces données nous laissent présager que le Québec est capable de répondre à ses besoins à court terme. Toutefois, l’approvisionnement pour les horizons temporels plus lointains, par exemple 2050, reste incertain.
Filière solaire
La filière solaire est peu développée au Québec : en 2019, elle représentait moins de 1 % de son mix énergétique (Belmokhtar et Durette, 2021). Néanmoins, le potentiel solaire québécois n’est pas négligeable, avec un potentiel photovoltaïque moyen de 1 183 kWh/an/m2. Le potentiel québécois surpasse celui du Canada, qui est de 1 131 kWh/an/m2, mais reste en deçà de celui de 1 800 kWh/an/m2 du sud de la Californie (Global Solar Atlas, 2023), par exemple. Incorporer l’énergie solaire dans l’approvisionnement énergétique du Québec lui permettrait de diversifier son mix énergétique et de répondre à la demande croissante en énergie (Belmokhtar et Durette, 2021). Néanmoins, le développement d’énergie solaire pose des défis en matière d’acceptabilité sociale, de droits fonciers, de contribution à l’économie nationale et de consultations des citoyens touchés directement par le projet, particulièrement lorsque celui-ci se mettra en place dans des zones habitables ou agricoles et des collectivités autochtones. Des questionnements environnementaux liés à l’extraction de minerais essentiels peuvent également être soulevés. L’énergie solaire a donc un potentiel intéressant pour le Québec, mais il faut également considérer ses contreparties en matière de justice et d’équité sociale, puis de coûts environnementaux (Chapman, McLellan et Tezuka, 2018).
Filière éolienne
En 2019, l’éolien était responsable d’environ 5 % de la production d’électricité de la province. Le potentiel éolien théorique du Québec est très élevé, considérant l’immensité du territoire, étant estimé à 12 250 TWh (Herrman et Huraux, 2015). Toutefois, le potentiel techniquement exploitable et intégrable au réseau serait de l’ordre de 61 à 74 TWh (Herrman et Huraux, 2015), soit environ le tiers de la production électrique actuelle1. L’éolien pourrait donc jouer un rôle important dans l’approvisionnement futur d’électricité propre au Québec. À l’instar de l’énergie solaire, la filière éolienne fait face à certains défis, notamment au sujet de l’affrontement de visions différentes quant à la place et au rôle de l’éolien dans le développement socioéconomique des régions (Fournis, 2017).
Malgré tout, les développements précédents nous laissent envisager que le Québec pourra répondre à ses besoins en énergie propre à moyen terme (c’est-à-dire en 2030). Toutefois, à long terme, avant d’en exporter davantage vers ses voisins, la province devra saisir pleinement l’opportunité représentée par ses filières éoliennes et solaires et consommer l’électricité de manière optimale.
Minéraux critiques
Le Canada est un producteur minier mondial considérable, statut auquel le Québec contribue fortement en tant que province avec la plus grande variété de minéraux critiques exploités. En considérant les sites d’exploitation déjà en fonction et les prospections, le Québec possède un potentiel minier dans la transition énergétique en ce qui concerne la production de graphite, de titane et de vanadium, de lithium, de nickel, de cuivre, de cobalt et des éléments du groupe platine, des éléments des terres rares, de niobium et de zinc (Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles [MERN], 2020, p. 10). Le constat suivant semble néanmoins s’imposer : le Québec ne sera pas un joueur incontournable du marché des minéraux critiques et stratégiques, mais il aura l’opportunité de tirer son épingle du jeu s’il joue bien son rôle (MERN, 2020, p. 8). Il restera cependant un débat, soit à savoir si la population est prête, après un ralentissement de ces activités sectorielles, à revivre un boom minier qui pourrait avoir des conséquences importantes sur le paysage environnemental, social et économique québécois.
Si la voie de l’exploitation était prise, le Québec aurait la possibilité de se distinguer de trois façons cruciales qui pourraient l’élever au statut de leader international en développement minier. Dans un premier temps, grâce à des investissements et à des efforts importants en matière de recherche et développement, le Québec pourrait développer une expertise concurrente et appréciée en matière de pratiques d’exploitation de minéraux critiques sur la scène internationale. En effet, le tout est d’autant plus réalisable qu’un vivier de formation assez important et prometteur est déjà en place au Québec (centres de formation, établissements collégiaux et universitaires) et pourrait se démarquer davantage à l’étranger si on lui en donne la possibilité (MERN, 2020).
Deuxièmement, les minéraux critiques exploités au Québec auraient la possibilité de se démarquer et de devenir des produits de choix sur le marché grâce à la responsabilité sociale et environnementale de la production québécoise. En effet, la province peut arriver à se démarquer face à des joueurs imposants comme la Chine et la Russie grâce à des standards sociaux et environnementaux de production élevés. Les standards de la province sont déjà élevés, mais pourraient l’être davantage, comme le scandale relatif aux émissions d’arsenic de la Fonderie Horne de Glencore le démontre (où le secteur privé n’a pas été forcé à respecter des standards d’émissions de polluants chimiques préservant la santé des populations locales). Alors que la Chine, possédant une immense proportion des mines en Afrique subsaharienne, acquiert et confirme une réputation condamnable en matière de normes environnementales et de droits de la personne (Simon, 2022), le Québec propose des produits qui offrent une option plus éthique et responsable à ses compétiteurs. La province pourrait accroître sa distinction en la matière en renforçant ses normes actuelles pour favoriser notamment la consultation des Premières Nations et les contrôles de rejets industriels, en adhérant à des normes et certifications existantes et potentiellement en créant de nouveaux standards (MERN, 2020).
Finalement, le Québec est déjà arrivé au constat que, pour parvenir à répondre à la demande en explosion sans catastrophe écologique, le recyclage de ces matières critiques est nécessaire. Ainsi, en faisant de l’économie circulaire un pilier de sa stratégie, le Québec pourrait parvenir non seulement à vernir davantage son image de producteur minier responsable, mais il pourrait aussi accroître sa production en offrant également des produits recyclés. Mais surtout, grâce à la recherche et au développement, il pourrait exporter son expertise et ses technologies pour recycler ces minéraux, qui le sont toujours très peu pour le moment (MERN, 2020 ; PwC, 2021).
La question reste à savoir qui bénéficiera du potentiel nouveau boom minier au Québec. Pour le moment, le gouvernement semble davantage faciliter l’accessibilité extérieure aux ressources québécoises : les avantages fiscaux proposés aux compagnies minières sont nombreux pour favoriser l’installation de compagnies étrangères. Or, conformément aux principes directeurs du plan de valorisation des minéraux critiques et stratégiques du gouvernement québécois, il serait préférable de favoriser l’exploitation minière menée par des compagnies provinciales, qui sont suffisamment nombreuses et en mesure de s’atteler à la tâche si les moyens leur en sont donnés (MERN, 2020 ; PwC, 2021). Autrement, ce serait passer à côté du principe de « maximis[er] les retombées dans les régions productrices de MCS, contribuant ainsi à leur prospérité économique » (MERN, 2020, p. 13), de même que de remettre en question la possibilité d’atteindre une véritable souveraineté énergétique dans le cadre de la transition. La gouvernance du secteur minier dans de la transition énergétique reste à clarifier, faute de quoi, sans coordination, la soutenabilité des activités ne peut être garantie.
Prendre les devants dans les technologies propres
Le Québec est bien positionné pour prendre les devants dans les technologies sobres en carbone qui seront cruciales pour sa transition énergétique. Le gouvernement québécois, depuis le début de la décennie 2010, a opté pour l’électrification de ses transports comme voie de réduction de ses émissions de GES. Dans cette même direction, en 2020, le gouvernement du Québec a annoncé que la vente de véhicules à combustible fossile sera interdite d’ici 2035. Le Québec doit donc investir dans les technologies qui lui permettront de réaliser cette électrification des transports.
Transport électrique
En 2021, la filière québécoise des transports électriques représentait un chiffre d’affaires de 3,3 milliards de dollars et employait 9 308 individus au sein de 177 entreprises. De plus, l’évolution de l’industrie manufacturière des transports électriques est notable. En cinq ans, soit de 2016 à 2021, le chiffre d’affaires de l’industrie a augmenté de plus de 300 %, le nombre d’emplois a augmenté de 375 %, et le nombre d’entreprises a grimpé de 120 % (Propulsion Québec, 2021). Concernant le transport de marchandises, Pedinotti-Castelle et al. (2020) projettent qu’une électrification rapide se fera dès 2030 pour les camions légers. Dans la même étude, il est projeté que l’industrie du transport moyen et lourd se dirigera plutôt vers des véhicules hybrides. Toutefois, dans un scénario avec une augmentation considérable des cibles de réduction de GES, la part du marché des véhicules électriques moyens et lourds augmente considérablement. Ainsi, il existe un potentiel de développement pour la manufacture pour le transport moyen et lourd, pour les camions légers et pour les composantes des véhicules électriques au Québec, et le gouvernement sortirait gagnant de soutenir davantage les entreprises œuvrant dans ce secteur (Pedinotti-Castelle et al., 2020).
Batteries
Le Québec compte plusieurs joueurs à des endroits clés dans la chaîne de valeur de la filière des batteries lithium-ion, nécessaires au transport électrique. Il est projeté que la demande mondiale en batteries lithium-ion atteindra plus de 3 500 GWh en 2040. En ce moment, l’Europe et les États-Unis, deux grands joueurs dans la production de véhicules électriques, n’ont pas la capacité de production nécessaire pour répondre à la hausse de la demande des véhicules électriques. Ainsi, selon un rapport de Propulsion Québec de 2019, une course à l’augmentation de la production de batteries a été lancée, ce qui a comme conséquence la multiplication par 10 de la capacité mondiale projetée de production de cellules de batteries d’ici 2028 par rapport au niveau de 2017, atteignant environ 1 500 GWh. Aussi, la part du marché nord-américain dans la production mondiale de batteries est appelée à augmenter, passant de 5,5 % en 2017 à 13,4 % en 2028. Le Québec aurait donc intérêt à contribuer à l’expansion de ce marché. En effet, la province détient déjà un savoir-faire important dans l’extraction de minéraux ainsi que dans le développement et l’assemblage des véhicules électriques, deux étapes importantes de la chaîne de production des batteries.
Conclusion
À la suite de l’analyse de trois stratégies, nous pouvons conclure que le Québec pourrait se positionner favorablement durant la transition énergétique, en faisant profiter son économie. Concernant l’exportation d’électricité, considérant sa demande croissante dans la province, le Québec devra miser sur l’efficacité énergétique, tout comme l’approvisionnement en nouvelles sources, comme l’énergie solaire et éolienne, qui présentent un potentiel considérable. Pour ce qui est du contrôle des ressources naturelles nécessaires pour les énergies propres, la province aura la possibilité de s’élever au statut de leader international, en misant sur le développement de ses pratiques d’exploitation, le respect de normes environnementales et sociales élevées, ainsi que le recyclage des matières critiques, tout en misant sur les compagnies provinciales. Enfin, la province doit exploiter son potentiel dans le développement des technologies pour le transport électrique, en particulier les batteries, les camions légers, ainsi que les véhicules électriques moyens et lourds.
Cette estimation ne considère toutefois pas les gains possibles dans
l’amélioration des turbines éoliennes.