L’année 2023 a été marquée par une saison record de feux de forêt, qui ont laissé des cicatrices profondes sur le territoire canadien. D’un océan à l’autre, plus de 6 600 incendies de végétation ont affecté les vastes forêts du pays, brûlant de 15 à 20 millions d’hectares de terres boisées sur leur passage. Le Québec n’a pas été épargné par cette saison exceptionnelle, pendant laquelle 713 incendies ont brûlé plus de 4,3 millions d’hectares de forêt (Centre interservices des feux de forêt du Canada, 2024).
Les changements climatiques ont amplifié l’ampleur de cette saison historique. Une étude de la World Weather Attribution (2023) souligne que la sévérité de la saison des feux de forêt au Québec, de mai à juillet 2023, a été 50 % plus intense à cause des changements climatiques provoqués par l’activité humaine. De plus, selon cette même étude, les saisons d’une telle gravité sont au moins sept fois plus susceptibles de se produire dans un climat en changement (World Weather Attribution, 2023). Cette saison extraordinaire illustre l’importance d’agir pour protéger nos forêts et pour atténuer les risques pour nos communautés et nos infrastructures.
Le phénomène naturel des feux de forêt, mais…
Les feux de forêt sont cruciaux dans le maintien de l’équilibre écologique des forêts boréales canadiennes. Ces forêts, connues pour leur grande capacité à s’adapter aux incendies de végétation, cohabitent avec le feu depuis toujours (Bergeron et Charron, 1995).
En effet, le feu est un allié pour la régénération des forêts, car il enclenche l’ouverture des cônes de nombreuses espèces, comme le pin gris ou l’épinette noire. Ces cônes, revêtus de cires, renferment des graines qui, sous l’influence de la chaleur intense du feu, se libèrent, facilitant ainsi la dissémination des semences dans la forêt (Bergeron et Charron, 1995). Le passage du feu favorise également la décomposition des matières organiques, ce qui stimule la croissance de la végétation. Après un incendie, la forêt peut ainsi se régénérer rapidement dans un nouvel espace dégagé et lumineux (Bergeron et Charron, 1995). Toutefois, les changements climatiques compliquent cette dynamique. Un retour trop rapide du feu peut entraver ce processus en brûlant les jeunes arbres avant qu’ils ne produisent des graines ou, lorsque le feu est trop sévère, en brûlant les cônes dans les arbres matures. En raison du changement climatique, les saisons d’incendies risquent de devenir plus longues, plus intenses et plus imprévisibles, mettant en péril le processus de régénération naturelle des écosystèmes forestiers qui vivent normalement en harmonie avec le feu (Boulanger et al., 2024). Par ailleurs, au cours du dernier siècle, l’exploitation forestière a rajeuni les forêts, ce qui, conjugué aux effets des changements climatiques, les rend encore plus vulnérables aux incendies.
Outre les conséquences sur les écosystèmes forestiers, les feux de forêt peuvent menacer la sécurité des populations, nécessitant parfois des évacuations, en particulier pour les communautés isolées et les Premières Nations. Les incendies peuvent également nuire à la santé des populations, notamment en dégradant la qualité de l’air sur des distances pouvant atteindre des centaines, voire des milliers de kilomètres. Les feux de forêt peuvent aussi mettre en danger des secteurs résidentiels, des installations industrielles ainsi que des infrastructures essentielles de transport, d’énergie et de télécommunication. Enfin, cet aléa peut entraîner une interruption de certaines activités forestières ou touristiques dans les zones touchées, perturbant du même coup l’économie québécoise et canadienne (Boulanger et al., 2024).
Face à l’augmentation projetée de l’activité des feux en raison des changements climatiques ainsi qu’à la récente saison d’incendies de forêt dont le Québec et le Canada ont été le théâtre, une réflexion s’impose quant aux mesures concrètes qui peuvent être mises en œuvre pour renforcer la résilience des écosystèmes, des populations et de l’économie. Dans cette optique, nous présentons les travaux de divers acteurs, publiés dans des articles scientifiques récents (2023-2024) ou provenant de sources gouvernementales (gouvernement du Québec) et d’instances opérationnelles de lutte contre les feux de forêt sur le territoire (SOPFEU). Les sujets abordés se concentrent sur les solutions visant à adapter le paysage forestier québécois et canadien, ainsi que sur les moyens de rendre l’industrie forestière, les communautés et les infrastructures québécoises plus résilientes.
Des acteurs engagés dans l’aménagement du territoire forestier
L’aménagement forestier est un outil précieux pour limiter les conséquences de l’intensification des incendies de végétation sur les services écologiques et socioéconomiques que nous offre la forêt (Boulanger et al., 2024).
Pour renforcer la résilience et la résistance de nos paysages forestiers face aux incendies, plusieurs stratégies peuvent être envisagées. Parmi elles, la réduction du taux de récolte du bois, qui implique de réduire la quantité de bois disponible aux usines de transformation, notamment dans les forêts boréales exposées à un risque élevé d’incendie. Une diminution du taux de coupe permettrait de conserver davantage de forêts matures, favorisant la régénération naturelle et réduisant leur vulnérabilité à long terme (Jetté et al., 2024). De plus, le fait de conserver une plus grande quantité d’arbres matures permet de réduire les zones vulnérables aux échecs de régénération et de préserver un stock de bois plus important. En cas d’incendie, ce surplus agirait comme une réserve de précaution, limitant ainsi les pénuries de bois (Jetté et al., 2024).
D’autres mesures comprennent le maintien d’arbres semenciers matures dans les coupes et la plantation d’espèces plus résistantes aux feux, comme le pin gris (Jetté et al., 2024). Le maintien d’un nombre suffisant d’arbres semenciers matures pourrait suffire pour restaurer un niveau de régénération faible à modéré, évitant ainsi les coûts élevés de plantations post-incendie, qui sont évalués à 5 000 $ à 8 000 $ par hectare (estimations de 2023) (Perrault et al., 2017 ; Boulanger et al., 2024). Enfin, l’intégration accrue des feuillus, tels que le tremble, le bouleau et l’érable rouge, réputés comme étant moins inflammables que les conifères, pourrait également être une avenue à envisager (Boulanger et al., 2024).
Des simulations suggèrent qu’une plantation manuelle ou le fait de favoriser la régénération naturelle d’espèces feuillues après un incendie ou une coupe pourraient réduire considérablement l’intensité des feux liés au climat, tout en atténuant les pertes d’approvisionnement en bois jusqu’à 50 % (Boulanger et al., 2024). Il faut toutefois rester prudent et tenir compte de l’importance de la biodiversité. Une modification soudaine des forêts dominées par les conifères par un habitat constitué principalement de feuillus pourrait nuire à la persistance de certaines espèces dans ces paysages modifiés. Ainsi, bien qu’il soit difficile et non souhaitable de modifier l’ensemble de la composition des forêts canadiennes, il est réaliste de mettre en œuvre de telles pratiques près des zones habitées et des infrastructures essentielles, grâce à nos connaissances actuelles (Jetté et al., 2024).
Une industrie forestière plus résiliente
L’adaptation de l’industrie forestière, telle que nous la connaissons, est également nécessaire pour faire face à l’amplification des incendies et renforcer la résilience du secteur. Cela implique un changement de paradigme, avec une production et une utilisation moins intensive de bois de conifères, vers une utilisation accrue d’essences de feuillus, comme le tremble et le bouleau blanc ainsi que de peuplements mieux adaptés au feu, comme le pin gris. Il serait aussi possible d’anticiper les changements climatiques en plantant des espèces de la forêt tempérée, comme le chêne ou l’érable. Des plantations tests de ces espèces de feuillus pourraient être faites en bordure de la forêt boréale, là où les conditions locales sont suffisamment favorables. Ce virage, s’il est bien appliqué, pourrait assurer une meilleure durabilité du secteur forestier (Jetté et al., 2024).
La planification de l’aménagement forestier doit également tenir compte des changements climatiques projetés et de leurs répercussions potentielles sur le secteur, en privilégiant des mesures préventives. Cela nécessite le renforcement des compétences et des capacités au sein des communautés, particulièrement pour les populations dont l’économie repose sur l’industrie forestière.
Conjuguées aux actions préventives, des actions réactives devront également être planifiées, comme diminuer le coût de plantation des arbres pour éviter que de vastes étendues forestières soient occupées par des échecs de régénération. L’innovation jouera un rôle clé dans ce processus, et des mesures incitatives doivent être mises en place pour la stimuler (Boulanger et al., 2024). Dans cette perspective, le gouvernement du Québec prévoit investir près de 405 millions de dollars sur cinq ans afin d’appuyer les communautés et le secteur forestier en réponse aux feux de forêt de 2023 (Finances Québec, 2023). Cela dit, les coûts estimés pour reboiser les zones brûlées lors des feux records de 2023 sont beaucoup plus élevés. Au rythme des fonds prévus à l’heure actuelle par le gouvernement provincial, il faudrait près de 100 ans pour pallier les problèmes de régénération rencontrés (Jetté et al., 2024).
Renforcer les capacités opérationnelles de lutte contre les incendies
Malgré les solutions proposées, l’accroissement projeté des incendies de forêt dans le contexte des changements climatiques pose un défi considérable pour la protection des communautés et des infrastructures résidentielles, municipales, de transport, d’énergie et de télécommunication. Ainsi, il est nécessaire de rehausser les capacités opérationnelles pour lutter contre les feux, une mission confiée à la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU), au Québec. Cette dernière détient actuellement la capacité de lutter contre 30 incendies simultanément, ou un seul feu de plus de 1000 ha, ce qui est faible au regard des feux de l’année dernière et dans le contexte d’un climat changeant.
Après la saison des incendies de 2023, le gouvernement du Québec s’est engagé à investir plusieurs millions de dollars, dont 29 millions sur cinq ans, pour accroître la capacité de la SOPFEU (Finances Québec, 2023 ; Finances Québec, 2024). Les investissements annoncés couvriront aussi l’acquisition de nouveaux équipements, la formation de pompiers supplémentaires, ainsi que la diffusion des bonnes pratiques en matière de prévention et d’atténuation des risques pour les collectivités et les infrastructures en concordance avec les principes « Intelli-feu » (Finances Québec, 2023 ; Finances Québec, 2024).
Atténuer les risques pour les collectivités et les infrastructures
Le gouvernement du Québec prévoit également investir 31,5 millions de dollars supplémentaires pour financer des travaux d’appréciation et d’atténuation des risques associés aux feux de forêt dans les municipalités (Finances Québec, 2023). Dans ce cadre, plusieurs municipalités exposées au risque d’incendie, comme La Tuque et Sept-Îles, envisagent d’implanter des démarches d’atténuation des risques, en collaboration avec le ministère de la Sécurité publique (MSP) et la SOPFEU, pour limiter les conséquences des incendies de forêt sur leur territoire. Mais qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
La SOPFEU a déployé une série d’outils inspirés des programmes Intelli-feu (FireSmart) au Canada, Firewise aux États-Unis, ainsi que des directives du Guide sur les incendies en milieu périurbain du Conseil national de recherches du Canada (SOPFEU, 2024). Ces outils offrent un éventail de conseils pratiques pour la construction et l’entretien des bâtiments. Ils visent à éduquer et à sensibiliser les propriétaires aux bonnes pratiques permettant de réduire les risques d’incendie dans la zone d’inflammabilité résidentielle, soit un rayon de 30 mètres autour des bâtiments. Ces conseils reposent sur de nombreuses études scientifiques qui ont démontré que les actions visant précisément à réduire l’inflammabilité des infrastructures et le maintien d’une zone exempte de tout combustible dans l’environnement immédiat du bâtiment sont celles ayant la plus grande portée par rapport à la réduction du risque (SOPFEU, 2024).
Les mesures permettant d’atténuer les risques comprennent les pratiques de contrôle, d’aménagement et d’entretien de la végétation, de même que l’utilisation de matériaux résistants au feu pour les habitations et leurs structures attenantes. Bien appliquées, ces mesures permettent de limiter la propagation des flammes et d’accroître la résistance des bâtiments, assurant ainsi une sécurité accrue de leurs occupants (Bénichou et al., 2021).
À l’échelle des collectivités, la SOPFEU fournit un soutien au personnel d’intervention local dans le processus d’évaluation des risques afin d’identifier les infrastructures et les secteurs les plus exposés aux incendies de végétation. L’application de mesures d’atténuation des risques, entre autres axées sur la gestion du combustible, a pour objectif de minimiser les dommages potentiels sur ces infrastructures advenant le passage du feu près de la communauté. De plus, une préparation adéquate des services d’urgence en cas de feux de forêt permet de réduire, à plus ou moins long terme, les conséquences d’un tel événement sur la communauté, comme les traumatismes liés aux évacuations ou les pertes économiques. Le rehaussement des capacités d’intervention locales passe notamment par la formation du personnel et par une planification municipale efficiente en situation d’urgence, intégrant des procédures d’évacuation et des sites d’accueil pour les personnes sinistrées (Bénichou et al., 2021).
Ces efforts combinés, de la part de la communauté citoyenne et des municipalités, peuvent contribuer à améliorer la sécurité de la population et à limiter les conséquences des feux de forêt sur les infrastructures résidentielles et municipales. Il est toutefois important de noter que ces mesures d’adaptation doivent prendre en compte la diversité des réalités du terrain : être adaptées à toutes les échelles, du bâtiment à la communauté ; intégrer les différentes réalités socioéconomiques et de l’utilisation du territoire.
Une responsabilité commune
À la suite de la saison extraordinaire des feux de forêt en 2023, divers acteurs ont accéléré leur réflexion à travers différentes initiatives pour renforcer la résilience de nos forêts, de nos collectivités et de nos infrastructures. En investissant dans des stratégies d’aménagement forestier, en repensant l’industrie forestière, en renforçant nos capacités de réponses aux incendies et en donnant les moyens concrets aux communautés et aux municipalités pour atténuer les risques de feux de forêt, nous pouvons forger un avenir où nous pourrons apprendre à mieux vivre avec les incendies de végétation et limiter les conséquences sur nos sociétés. En unissant nos efforts et en nous adaptant, nous pouvons protéger nos communautés et assurer la résilience de nos écosystèmes forestiers.
Les auteurs remercient M. Simon Massé, coordonnateur à l’atténuation des risques à la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU) pour sa précieuse collaboration à cet article.