Les arbres, régulateurs par excellence du climat
Les forêts énergétiques durables (FED) sont des plantations artificielles d’arbres à croissance rapide utilisées particulièrement pour la production de biomasse. Différentes méthodes existent pour mettre en place des FED, dont le semis direct, qui consiste à enfouir les graines dans le sol avec une certaine quantité de compost, selon un protocole adapté au type de sol. Cette opération nécessite peu d’intervention humaine. La récolte de la biomasse végétale se fait après trois ans, approximativement, par la coupe d’une partie des arbres de la parcelle quand leur diamètre est supérieur à deux centimètres. On parle de gestion durable des FED lorsque la coupe se fait de manière rotative. Elle se fait aussi pendant la période humide pour faciliter la reprise des arbres, permettant ainsi aux FED de se régénérer facilement. En Haïti, ces forêts sont plantées à haute densité (c.-à-d. 20 000 arbres ha-1) sur des terres dégradées (notamment par une érosion et une forte exploitation) et sont constituées d’espèces légumineuses à croissance rapide et fixatrices d’azote (N) telles que l’Acacia mangium, le Leucaena leucocephala et le Prosopis juliflora (ci-après nommés Acacia, Leucena et Prosopis, respectivement). La particularité de cette plantation dense est la production d’arbres de plus petit volume individuel, mais présentant une plus grande production de biomasse par hectare. Elle permet aussi de freiner le développement d’autres espèces concurrentes. La biomasse produite est utilisée par les populations locales pour produire de l’énergie à partir du charbon de bois écoénergétique. Pour trois tonnes de bois, on obtient en moyenne une tonne de charbon. Cette pratique n’est pas courante en Haïti : il s’agit d’une innovation introduite par le Centre d’étude et de coopération internationale (CECI) et Vidiris Terra International (VTI) dans le cadre du projet « KLIMA : Konbit pou Lite kont chanjman klimatik », ce qui signifie « travailler ensemble pour lutter contre les changements climatiques ».
Ce projet a permis de mobiliser de jeunes entrepreneurs agricoles pour accompagner des propriétaires de terres dégradées à mettre en place des FED à partir de semis direct. La formation et l’accompagnement des personnes productrices dans l’expérience ont permis une bonne appropriation et durabilité des FED après la fin du projet. L’expérience a pu être reproduite deux fois depuis le premier projet, de 2018 à 2021. Les FED visaient à accroître la capacité de stockage du carbone (C) des terres dégradées, à restaurer des terres dégradées, à réduire la pression sur les forêts naturelles, à renforcer la résilience des populations face aux aléas climatiques, ainsi qu’à leur procurer une activité génératrice de revenus durables. En effet, les FED ont une énorme capacité de stockage de carbone en raison de leur importante biomasse végétale aérienne et racinaire, même si la biomasse aérienne est récoltée régulièrement. Étant constituées de légumineuses, elles peuvent aussi fixer l’azote (N) atmosphérique dans le sol et ainsi en accroître leur fertilité. La haute densité de ces plantations leur confère une excellente capacité de rejet de souche après le taillage.
Ces forêts peuvent contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) et jouent donc un rôle important dans l’atténuation des changements climatiques. Les arbres agissent comme réservoir en stockant du carbone dans leur biomasse, c’est-à-dire en l’entreposant sous forme de composés organiques dans le tronc, les branches et les racines. Par la photosynthèse, ils absorbent le dioxyde de carbone (CO2), l’un des principaux GES, contribuant ainsi à diminuer la concentration atmosphérique de ce gaz. Les arbres utilisent le CO2 pour fabriquer des composés organiques. La photosynthèse joue donc le rôle d’entrée du carbone dans les forêts, alors que les sorties sont principalement représentées par la respiration autotrophe et hétérotrophe. Le carbone demeure stocké dans la biomasse de la plante jusqu’à sa mort, moment où une partie est retournée dans l’atmosphère. Les jeunes plantes prennent le relais et c’est ainsi que, dans son ensemble, la forêt demeure un réservoir de carbone. Toutefois, pour être considérée comme réservoir de carbone, la quantité de CO2 absorbée pour une période donnée doit être supérieure à celle rejetée. La photosynthèse et les respirations autotrophes et hétérotrophes sont des processus qui influencent le stockage du carbone dans les forêts tropicales et qui peuvent varier en fonction du stade de développement des arbres.
La capacité de stockage du carbone des FED a été évaluée de 2018 à 2021 et montre qu’en 18 mois, l’Acacia a stocké davantage de carbone dans sa biomasse (3,3 Mg C ha-1)1, suivi de Prosopis (2,2 Mg C ha-1) et de Leucena (1,1 Mg C ha-1). Ceci montre que la croissance des espèces légumineuses fixatrice d’azote dans les FED, en particulier celle de l’Acacia, peut permettre de stocker rapidement des quantités importantes de carbone dans la biomasse aérienne et racinaire des arbres et ainsi contribuer de manière considérable à réduire les émissions de GES et à lutter contre les changements climatiques en Haïti. Le fait que cette méthode puisse facilement se reproduire et nécessite peu d’intrants représente une solution concrète et accessible pour les populations haïtiennes.
Le sol, véritable allié du climat
Le sol est la couche superficielle de la croûte terrestre sur laquelle les plantes poussent. Sa structure se réfère à la façon dont les particules de sable, de limon et d’argile sont arrangées les unes aux autres. Dans un sol bien structuré, les particules de sable et de limon sont liées par l’argile, la matière organique et le calcium pour former des agrégats. Les grands espaces vides entre les agrégats permettent la circulation de l’eau et de l’air, ainsi que l’enfoncement des racines dans le sol, tandis que les petits espaces retiennent l’eau que les plantes utilisent. Le sol est considéré comme le deuxième plus grand réservoir de carbone de la biosphère ; il peut stocker trois à quatre fois plus de carbone, en comparaison avec toute la végétation terrestre (Paustian et al., 2016). Pour stocker du carbone dans le sol, il faut en accroître les quantités accumulées dans les couches superficielles et profondes. Afin que le carbone demeure dans le sol à long terme, il faut en augmenter les formes stabilisées par les particules fines et les microagrégats (<0,25 mm) du sol pour qu’il soit protégé de la décomposition microbienne. La matière organique joue un rôle important sur le plan environnemental, car elle contribue au stockage du carbone. La présence du carbone dans le sol permet d’augmenter l’agrégation et la stabilité de la structure du sol. Le contenu en carbone du sol influence aussi la disponibilité des éléments nutritifs et la biodiversité du sol. Ainsi, les agrégats de même que la teneur en particules fines de la taille des argiles influencent fortement le stockage et la stabilité du carbone du sol.
De 2018 à 2021, les concentrations de carbone et d’azote ainsi que les stocks de ces éléments ont été évalués avant et après la plantation des FED. L’analyse des sols échantillonnés en 2021 montre que la teneur en argile du sol a influencé sa concentration en carbone et en azote, ainsi que les quantités de carbone et d’azote stockées. Les sols à forte teneur en argile montrent des concentrations en carbone et en azote environ 3,7 et 3,2 fois plus élevées que ceux à faible teneur en argile. L’influence de la teneur en argile sur les stocks de carbone et d’azote suit la même tendance que celle observée pour les concentrations. Les sols argileux sont plus riches en agrégats stables ; l’argile et les agrégats du sol participent au stockage du carbone du sol. Le carbone des sols riches en argile serait mieux protégé physiquement et par conséquent plus stable que celui qui se trouve dans les sols à faible teneur en argile. Ce carbone est protégé par occlusion dans les agrégats contre la dégradation due aux activités des microbes et des enzymes. La protection physique du carbone dépend des minéraux argileux présents dans le sol ; ceux avec une surface spécifique (surface totale par unité de masse) plus importante adsorbent plus de carbone et d’azote que ceux ayant une surface spécifique plus faible. La dégradation de la matière organique par les micro-organismes serait plus élevée dans les sols sableux pauvres en argile, car il y a moins de particules fines et d’agrégats capables de protéger le carbone et l’azote de la décomposition. Les sols sableux sont donc plus vulnérables à la dégradation et à la perte de carbone, et leur teneur en matière organique est généralement plus faible.
Bon nombre de sols tropicaux sont pauvres et comptent sur le recyclage des éléments nutritifs provenant de la matière organique pour maintenir leur fertilité. La fertilité du sol est une caractéristique lui permettant de fournir des éléments nutritifs essentiels en quantité et en qualité pour soutenir la croissance des plantes. Or, les FED sont capables d’augmenter la quantité de matière organique dans le sol grâce aux dépôts de litière, améliorant ainsi la qualité et la fertilité du sol. En effet, les débris végétaux, comme les feuilles, les branches et les troncs qui tombent sur le sol, ainsi que ceux qui se décomposent dans le sol, tels que les racines et les exsudats racinaires, apportent de la matière organique au sol. La contribution relative de ces apports influence les concentrations et les stocks de carbone et d’azote du sol.
Les plantes des FED fixent le CO2 atmosphérique pour produire des composés organiques. Une partie du carbone rejoint l’atmosphère par la respiration cellulaire des différentes parties des plantes. L’autre partie est assimilée dans la biomasse végétale et rejoint par la suite le sol par la décomposition des résidus végétaux qui tombent sur le sol ou par les racines. Finalement, le carbone quitte le sol, soit sous forme de particules arrachées par l’érosion, de carbone dissous dans l’eau ou de CO2 après la minéralisation des matières organiques.
Pas qu’une question de stockage du carbone
L’azote est un élément clé pour la croissance de la plante. Les espèces des FED sont des légumineuses, elles fixent le N2 atmosphérique, qui est transformé en azote utilisable grâce à certaines bactéries vivant dans le sol. Les produits résultant de la fixation que sont l’ammonium (NH4) et l’ammoniac (NH3) sont transformés en nitrite (NO2) et en nitrate (NO3). Par le processus de dénitrification, l’azote retourne dans l’atmosphère sous forme de N2.
La décomposition des résidus de récolte après la coupe des arbres restaure la fertilité des sols des FED en azote, un élément limitant pour la croissance de la végétation. Un lien intime existe entre les cycles de l’azote et du carbone : la disponibilité de l’azote dans le sol influence, entre autres, la production de biomasse et agit du même coup sur l’accumulation du carbone dans le sol. Il est donc important d’étudier à la fois le carbone et l’azote du sol pour mieux comprendre comment restaurer la fertilité des sols dégradés et y stocker du carbone, et ainsi permettre aux populations haïtiennes et aux systèmes agricoles et forestiers de s’adapter aux changements climatiques.
Tout comme c’est le cas pour le carbone, la quantité d’azote stocké dans le sol peut être influencée par plusieurs facteurs, dont l’espèce végétale. Ainsi, pour les trois espèces étudiées, les concentrations en carbone et en azote ainsi que les stocks de ces éléments ont été plus élevés dans les sols sous Leucena. La quantité de carbone stocké dans la couche de 0 à 20 cm de profondeur dans le sol a été en moyenne de 32 Mg C ha-1 pour Leucena, 20 Mg C ha-1 pour Acacia et 15 Mg C ha-1 pour Prosopis. Bien qu’il s’agisse d’espèces de la famille des fabacées, plantées sur des sols dégradés et soumises aux mêmes conditions climatiques, les résultats montrent que l’espèce végétale influence grandement les stocks de carbone et d’azote du sol. En matière de changements globaux de stocks de carbone dans l’ensemble sol-plante, des gains en carbone de l’ordre de 2 à 4 Mg de C ha-1 ont été observés respectivement sous Acacia et Leucena, de 2018 à 2021. Ces résultats démontrent que l’utilisation de ces espèces pour reboiser les sols tropicaux dégradés s’avère prometteuse pour restaurer la fertilité des sols en azote et stocker du carbone, et parallèlement permettrait de réduire les concentrations des GES dans l’atmosphère. Il y a urgence d’agir en matière de reforestation en Haïti afin de stocker du carbone et de restaurer les sols dégradés. Ceci permettra de réduire la concentration en CO2 atmosphérique, principal GES, et de s’adapter aux changements climatiques. La reforestation représente donc une solution réelle pour lutter contre les conséquences de plus en plus fortes des changements climatiques qui perturbent la population haïtienne.
Perspectives
Les sols d’Haïti sont très dégradés. La dégradation des terres est causée principalement par la fragilité du milieu physique (fortes pentes, nature des matériaux), la forte pression démographique, la violence des phénomènes climatiques, les pratiques culturales érosives, ainsi que la coupe intensive de bois pour la satisfaction des besoins énergétiques et pour la construction. Ceci se traduit par une forte pression sur les ressources ligneuses. Les FED constituées d’espèces légumineuses à croissance rapide sont une solution de rechange, car les arbres sont capables de produire de la biomasse et de régénérer la fertilité des sols. De ce fait, les arbres ne jouent pas seulement le rôle de régulateurs du climat par l’absorption de CO2, ils participent aussi à l’amélioration de la fertilité des sols dégradés. Donc, pour réduire les concentrations de GES dans l’atmosphère, la plantation d’arbres à croissance rapide de la famille des légumineuses s’avère prometteuse pour lutter et s’adapter aux changements climatiques. Les arbres sont de véritables partenaires climatiques, mais il est important d’envisager l’introduction d’autres pratiques agroécologiques pour s’adapter aux conséquences des changements climatiques. Notamment, l’utilisation d’énergies renouvelables et de biocombustibles permettrait aussi de réduire les concentrations de GES atmosphériques.
1. Mg ha-1 : mégagramme par hectare, soit 1 000 kg pour 10 000 m2