La gestion des matières résiduelles compte parmi les activités humaines qui présentent des opportunités de diminuer notre empreinte carbone. La réduction des émissions de méthane (CH4) des anciens dépotoirs et lieux d’enfouissement pourrait mener à des baisses significatives de gaz à effet de serre (GES) émis à l’atmosphère. À cet effet, l’oxydation par voie biotique du CH4 en dioxyde de carbone (CO2) s’avère une solution prometteuse, plus particulièrement l’implantation de la technologie des biosystèmes d’oxydation passive du méthane (BOPM). Cette dernière a d’ailleurs été identifiée dans le 4e rapport d’évaluation du GIEC comme moyen pour réduire les émissions de GES du secteur des déchets (Bogner et al. 2007)(1). De plus, comme il s’agit de systèmes passifs, demandant donc très peu d’interventions tout au long de leur vie, ils requièrent peu de ressources financières et humaines pour l’exploitation et l’entretien.
La littérature technique fait état de plusieurs expérimentations avec des BOPM à travers le monde. Dans cet article, nous expliquerons brièvement ce qu’est la biofiltration passive et présenterons un sommaire de nos résultats obtenus avec des biofiltres passifs à l’échelle réelle et ceux tirés de la littérature. La description des enjeux et opportunités associés à l’implantation des BOPM, dont son potentiel de réduction d’émissions de GES, concluera cet article. Pour illustrer le tout, un exemple d’application potentiel des BOPM sera présenté : le Complexe environnemental de Saint-Michel (CESM) de la Ville de Montréal.
Le CESM est un des plus grands lieux d’enfouissement du Québec. Ce lieu est actuellement en post fermeture. On y capte et valorise toujours la grande majorité du biogaz, dont la concentration en méthane atteint 45 %. Malgré cet état de fait, certaines applications des BOPM pourraient permettre d’y réduire davantage les émissions de GES.
Les biosystèmes d’oxydation passive du méthane
En fonction de l’état opérationnel d’un lieu d’enfouissement (en exploitation, en fermeture ou en post fermeture), de l’ampleur de la production de gaz, de l’efficacité du système d’extraction de gaz, de la nature du recouvrement existant (définitif ou provisoire; utilisant de l’argile ou des géosynthétiques), différents BOPM sont applicables. Les trois types de BOPM les plus courants sont les biofiltres, les bio-fenêtres et les bio-recouvrements. Un sommaire de leur utilisation et conditions d’opération est présenté dans Kjeldsen et Scheutz (2018; Table 9.5.2)(2). Les biofiltres sont des réacteurs autonomes à lit fixe dans lesquels le méthane est oxydé par des bactéries méthanotrophes colonisant le matériau du filtre. Les bio-fenêtres sont des compartiments intégrés dans le recouvrement du site, ouverts à l’atmosphère, à travers lesquels le biogaz migrant vers l’atmosphère est oxydé. Ces bio-fenêtres contribuent à régler des problèmes d’échappements localisés (ou « hotspots »). Les bio-recouvrements sont conçus pour oxyder les échappements sur de grandes étendues du recouvrement final ou provisoire. Ils sont utiles lorsqu’un grand nombre de biofiltres ou de fenêtres biologiques deviennent nécessaires pour traiter la charge de méthane qui échappe au système de collecte du biogaz.
Les BOPM sont construits avec un empilement de matériaux comme indiqué schématiquement à la Figure 1. Dans certains cas (biofiltres), la couche de fondation n’est pas présente. Les fonctions fondamentales de la couche de distribution de gaz (CDG) sont d’évacuer l’eau qui percole et de répartir la charge de méthane aussi uniformément que possible à la base de la couche d’oxydation du méthane. C’est à ce niveau que l’oxydation du méthane a lieu. La couche arable assure la croissance de la végétation, ce qui permet de mieux contrôler l’érosion. Elle assure aussi un certain apport de nutriments aux colonies bactériennes, dont les méthanotrophes.
La conception de systèmes d’oxydation du méthane nécessite une compréhension approfondie des processus fondamentaux impliqués dans l’oxydation microbienne et de ceux liés au transport du gaz et de l’eau à travers des milieux poreux. Cela nécessite également une compréhension de l’impact des facteurs environnementaux, tels que la qualité et la quantité de matière organique, et des conditions telles que le climat. Les principes fondamentaux du processus microbien d’oxydation du méthane ont été couverts dans un document de synthèse (Scheutz et al. 2009)(3) et dans diverses publications (p. ex. : Jugnia et al. 2009(4); Spokas and Bogner 2011(5)). Entre 2006 et 2014, une équipe de l’Université de Sherbrooke a construit 3 BOPM dans un lieu d’enfouissement en Estrie et leurs résultats ont été publiés dans différentes revues (p. ex. : Cabral et al. 2010(6); Ndanga et al. 2013(7); Roncato and Cabral 2012(8)). Plusieurs expérimentations ont été réalisées à travers le monde afin d’évaluer le potentiel de cette technologie (Cassini et al. 2017(9); Gebert and Groengroeft 2006(10); Scheutz et al. 2011(11)).
Malgré toutes les expérimentations mentionnées ci-dessus, la conception proprement dite des BOPM n’avait pas été mise à l’avant-scène. Il n’y avait pas de paramètres tangibles sur lesquels la conception d’ingénierie pouvait se faire. C’est un travail pionnier d’une étudiante au doctorat de l’Université de Sherbrooke, qui a incorporé la phénoménologie des écoulements d’eau non saturés, qui a permis de définir un paramètre de conception clair (Ahoughalandari et al. 2018)(12).
L’efficacité d’un BOPM est obtenue par le biais de mesures des débits entrant et sortant de CH4. Le suivi du débit entrant se fait par le biais de débitmètres massiques, alors que les débits sortant est obtenue, entre autres techniques, par des mesures en chambres de flux, à la surface. Moins il y a du CH4 en surface, plus grande est l’efficacité du BOPM.
Résultats
La Figure 2 montre l’évolution avec le temps de l’efficacité d’oxydation (axe vertical de droite), de la charge de CH4 (« inflow »; axe de gauche) et du taux d’émission (« outflow »; aussi dans l’axe de gauche) pour un BOPM (bio-fenêtre) installé sur le lieu d’enfouissement de Saint-Nicéphore (Waste Management). Les unités sont en grammes de méthane par mètre carré par jour. La bio-fenêtre couvrait une surface de 10 m x 3 m et était alimentée en biogaz par un puits dédié. La concentration de CH4 dans le biogaz était de l’ordre de 5 x 105 ppm (50 % en volume). Les résultats pour 2008 se trouvent dans Cabral et al. (2010)(6).
On peut observer à la Figure 2 que la charge de CH4 a été augmentée régulièrement jusqu’à la mi-juillet, alors que pratiquement aucun CH4 ne sortait du système (efficacité de près de 100 %). À la mi-septembre, la charge de CH4 a été augmentée rapidement, ce qui a débalancé temporairement le système (débit sortant augmenté le 3 octobre). Mais le système a rapidement réagi et les rendements calculés ont de nouveau atteint des valeurs très proches de 100 %. En 2009 (Roncato and Cabral 2012)(8), la charge de CH4 a été augmentée plus progressivement et l’efficacité est demeurée à près de 100 %. La charge maximale, plus faible en 2009 qu’en 2008, dépendait de ce que le puits de biogaz pouvait fournir. On observe à la Figure 2b que l’arrivée du temps froid cause une chute abrupte de l’efficacité d’oxydation du système.
On peut observer à la Figure 2 que la charge de CH4 a été augmentée régulièrement jusqu’à la mi-juillet, alors que pratiquement aucun CH4 ne sortait du système (efficacité de près de 100 %). À la mi-septembre, la charge de CH4 a été augmentée rapidement, ce qui a débalancé temporairement le système (débit sortant augmenté le 3 octobre). Mais le système a rapidement réagi et les rendements calculés ont de nouveau atteint des valeurs très proches de 100 %. En 2009 (Roncato and Cabral 2012), la charge de CH4 a été augmentée plus progressivement et l’efficacité est demeurée à près de 100 %. La charge maximale, plus faible en 2009 qu’en 2008, dépendait de ce que le puits de biogaz pouvait fournir. On observe à la Figure 2b que l’arrivée du temps froid cause une chute abrupte de l’efficacité d’oxydation du système.
On a observé que lorsque la charge de méthane augmentait, le taux d’oxydation augmentait au même niveau, maintenant un niveau d’efficacité élevé de tous les systèmes. Pour les essais de la fin été-automne (Figure 3b), les niveaux d’efficacité étaient un peu moins élevés, mais toujours supérieurs à 80 %. Avec l’arrivée du temps plus frais, à l’automne, les niveaux d’efficacité ont baissé abruptement. La charge maximale fournie était limitée par le puits. Selon notre appréciation (Ndanga et al. 2015)(13), les biofiltres auraient pu oxyder davantage de CH4. Cette étude a été la première à démontrer, sur le terrain et en laboratoire (résultats non présentés ici), que la végétation n’est peut-être pas un facteur aussi déterminant que l’on pensait (sans preuve) et que le type de végétation a peu d’influence sur l’efficacité des biofiltres.
Potentiel de la technologie pour le Québec
Selon les résultats présentés à la Figure 2a, les BOPM seraient capables d’oxyder au moins 804 grammes de méthane par mètre carré par jour (gCH4/m2/d). Cette capacité de réduire la charge de méthane dépasse largement la production de biogaz résiduelle ou fugitive (non captée) de presque tous les anciens lieux d’enfouissement, qui est de l’ordre de grandeur de 28 gCH4/m2/d. Considérant ce dernier chiffre et le fait qu’il existe entre 50 et 60 lieux d’enfouissement fermés au Québec (surface moyenne de l’ordre de 20 hectares), qui ne sont desservis par aucun système de captation du biogaz, le potentiel de réduction des émissions combiné serait de de 2 à 3 millions de tonnes de CO2 équivalent par année, simplement par l’installation de BOPM sur les anciens lieux d’enfouissement de la province !
Les BOPM peuvent aussi trouver des applications, et conséquemment des opportunités de réduction d’émission de GES, dans des sites où le biogaz est capté. Le site du CESM en est un exemple. Même si ce dernier compte sur un réseau efficace de captage et de valorisation du biogaz, une petite fraction est émise à l’atmosphère sans que le méthane qu’elle contient soit détruit. Cette fraction provient d’un réseau de captage actif unique auquel sont reliées des tranchées de contrôle de la migration latérale (biogaz qui s’échappe du lieu d’enfouissement via la porosité non saturée des sols avoisinants). Le biogaz ainsi capté n’est ni valorisé ni détruit, parce que sa concentration en méthane d’environ 4,5 % est trop faible. Compte tenu du débit pompé de 680 m3/h, 190 tonnes de méthane par an sont ventilées dans l’atmosphère. Cela équivaut à des émissions de 4750 tonnes de CO2 par année, soit près de 2 % des émissions découlant des activités municipales de la Ville de Montréal en 2015. Comme ce biogaz est déjà capté et canalisé, l’utilisation d’un biofiltre serait tout à fait appropriée pour éviter son relâchement dans l’atmosphère sans en réduire le contenu en CH4.
En se basant sur la capacité d’oxydation de 804 gCH4/m2/d (Figure 2a), un biofiltre d’environ 900 m2 serait nécessaire pour réduire à néant les 190 tonnes de CH4 captées dans la tranchée et ventilées par le CESM; et ce, pour un taux d’efficacité de 75 %. Par contre, en se basant sur la capacité du biofiltre construit par Gebert and Groengroeft (2006), qui ont obtenu un taux d’oxydation supérieur à 5000 gCH4/m2/d, les 190 tonnes de méthane ventilées par le CESM pourraient être réduites à néant par un biofiltre d’environ 150 m2, pour le même taux d’efficacité de 75 %.
Conclusion
Les BOPM représentent une approche technologique prometteuse pour réduire les émissions de GES dans les anciens dépotoirs et lieux d’enfouissement puisque plusieurs études ont démontré leur efficacité, et ce, depuis 15 ans. Les BOPM sont simples à construire et leur conception peut être adaptée au contexte particulier de chaque site potentiel. Toutefois, malgré tous les avantages qu’il présente, le déploiement de cette approche nécessite encore un approfondissement dans le but de développer davantage de critères de conception et de dimensionnement. Un autre défi consiste en l’adaptation de leur conception aux conditions hivernales du Québec.