La fermentation entérique des bovins génère du gaz méthane (CH4), dont le potentiel de réchauffement planétaire est de 28 à 36 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone (CO2). L’élevage du bétail est responsable de 12 à 18 % des émissions anthropiques mondiales de gaz à effet de serre (GES) et les émissions d’origine agricole pourraient atteindre environ 8 millions de tonnes en équivalent dioxyde de carbone (Mt éq. CO2) par année d’ici 2050 (Shafer et al., 2011)(9). Selon la U.S. EPA (2012),(11) environ 17 % des émissions mondiales de CH4 (ou 3,3 % des émissions totales de GES) proviennent de la fermentation entérique.
Le secteur laitier est le troisième secteur agricole en importance au Canada et se concentre au Québec et en Ontario, où se trouvent 82 % des fermes laitières. Dans les fermes laitières du Québec, les vaches restent confinées dans l’étable durant l’hiver. L’air d’une étable typique est changé 6 à 7 fois par heure pour maintenir un environnement de haute qualité pour les animaux. Cela conduit à de forts débits de gaz d’échappement, qui contiennent de très faibles concentrations de CH4. Malgré les faibles concentrations, les quantités totales de CH4 émises directement dans l’atmosphère sont très élevées. Il en résulte que 40,8 % des émissions totales de GES du secteur agricole du Québec, soit 3,14 Mt éq. CO2, sont attribuables à la fermentation entérique de bovins (Gouvernement du Québec, 2016).(5)
Les principales stratégies de réduction des émissions de CH4 étudiées dans le contexte de l’élevage incluent, entre autres, de solides pratiques et technologies de gestion de la nutrition. L’empreinte carbone des fermes laitières pourrait diminuer par l’utilisation de biofiltres, qui sont des dispositifs contenant un milieu poreux à travers lequel percole le gaz à traiter, en l’occurrence le gaz d’échappement de l’étable. Des microorganismes vivant dans ce milieu peuvent, entre autres, oxyder le CH4 en CO2.
La biofiltration est une technique couramment appliquée dans les secteurs agricole et industriel pour la réduction des émissions de GES, mais cette technologie a reçu relativement peu d’attention lorsqu’il s’agit de la réduction des émissions des bâtiments d’élevage d’animaux. Cette situation s’explique, en bonne partie, par les forts débits et faibles concentrations de CH4 dans les gaz d’échappement des bâtiments, ce qui rend difficile l’oxydation biotique du CH4 en CO2.
Dans un biofiltre destiné au traitement des émissions d’étables à vaches dans les fermes laitières, illustré à la Figure 1, des bactéries méthanotrophes (qui sont des bactéries capables de se développer en n’utilisant que le méthane comme source de carbone et d’énergie et qui sont omniprésentes dans l’environnement), sont capables d’oxyder le CH4 en CO2 en conditions aérobies, c’est-à-dire en présence d’oxygène. Les températures optimales de fonctionnement de la plupart des méthanotrophes se situent entre 25 et 35 °C (Boeckx et Van Cleemput, 1996),(2) bien que les communautés méthanotrophes aient la capacité de s’adapter à des températures variant entre 0 et 55 °C (Einola, Kettunen, et Rintala, 2007).(3)
Comme la température du lit (la couche où l’oxydation a lieu) interne du biofiltre a une influence marquante sur l’activité méthanotrophe, on pourrait s’attendre à ce que, dans des conditions climatiques rigoureuses, telles que celles observées pendant les hivers québécois, l’oxydation du CH4 dans les biofiltres s’arrête complètement. Cependant, notre expertise en biofiltration passive du méthane (Ahoughalandari, Cabral, et Leroueil, 2018; Ndanga, Bradley, et Cabral, 2015; Roncato et Cabral, 2012)(1)(7)(8) et l’analyse que nous avons faite de la situation particulière des étables dans les fermes laitières canadiennes, où les vaches restent confinées pendant l’hiver, nous indiquaient qu’il serait possible de trouver les conditions appropriées pour installer des biofiltres efficaces et ainsi réduire les émissions de GES des fermes laitières.
L’objectif principal de notre étude était donc de vérifier la validité de l’hypothèse voulant qu’un biofiltre adjacent à l’étable d’une ferme laitière et construit avec des matériaux disponibles dans la ferme puisse soutenir l’activité d’oxydation biotique du CH4 en CO2, et ce, même si le biofiltre est exposé à de grandes variations de température et aux hivers des régions nordiques. Si cette hypothèse s’avère, la biofiltration pourrait être utilisée pour réduire les émissions des fermes laitières. Dans cette étude, nous avons déterminé le niveau d’efficacité d’oxydation pouvant être atteint et la taille du biofiltre pour une étable typique.
Matériels et méthodes
Pour notre étude, dont la méthodologie est décrite en détail dans Fedrizzi, Cabana, Ndanga et Cabral (2018),(4)nous avons testé des lits constitués de différents mélanges de matériaux communément retrouvés dans une ferme laitière, comme ceux-ci : compost, paille, sciure de bois et copeaux de bois. Avant chaque expérience, nous avons acclimaté (ou conditionné) le matériau du lit. Une fois le mélange sélectionné, trois séquences d’acclimatation/test de biofiltration ont eu lieu : la première a duré quelque 200 jours ; la 2e, 240 jours ; et la 3e, 128 jours. D’une à l’autre, nous réutilisions la moitié du matériau du lit conditionné, afin de faciliter le démarrage de la phase subséquente.
La Figure 2 présente un schéma du système de biofiltration et de contrôle des biofiltres modélisés à l’échelle du laboratoire, alors que la Figure 3 présente une photo du montage. Pour la conception du biofiltre expérimental, nous avons adopté le volume suggéré par Melse et Van der Welf (2005),(6) soit 1300 m3. L’épaisseur du biofiltre a été déterminée de façon que le gaz passe suffisamment de temps dans le lit filtrant pour que la réaction d’oxydation biotique (CH4 -> CO2) puisse être achevée. Le temps de résidence (empty-bed residence time; EBRT) adopté fut de 0,21 h. Cette valeur a été établie lors d’essais préliminaires avec les mélanges de matériaux présélectionnés. Afin de simuler la ventilation d’une ferme laitière, les biofiltres ont été alimentés par un débit constant de gaz d’échappement synthétique égal à 0,036 m3 h-1. Ce gaz avait une concentration constante de CH4 de 0,22 g m-3 (ou 300 ppm ; valeur proposée par un chercheur d’Agriculture et Agroalimentaire Canada). L’oxygène était présent comme dans l’air normal, ne représentant donc pas un frein à l’oxydation biotique. Le débit d’échappement a été calculé sur la base des prémisses suivantes : un taux de ventilation minimum égal à 1 000 m3 jr-1 par vache (Turnbull et Huffman, 1988)(10) et un très grand biofiltre.
Pour déterminer l’influence des cycles de température sur l’efficacité des biofiltres à réduire les émissions de CH4, nous avons soumis les biofiltres à des variations de température simulant des cycles naturels, incluant les conditions hivernales. Le système de refroidissement était constitué de tubes en cuivre enroulés autour du tiers supérieur de la colonne de Plexiglas® et reliés à un bain à température contrôlée. Seule la partie supérieure des colonnes (biofiltre modélisé) était refroidie, afin de simuler la pénétration du gel, en hiver. Ainsi, le haut de la colonne était soumis à des températures allant de 21 oC à -5 oC, alors qu’au bas, le gaz synthétique était d’environ 17 oC, soit une température moyenne dans une étable à vaches.
Résultats
À la suite de tests préliminaires avec différents mélanges de ces matériaux, nous avons sélectionné un mélange de compost et de paille, qui a été utilisé pour des expériences sur des colonnes à écoulement continu, en laboratoire. Nos résultats montrent que d’autres mélanges testés avaient une capacité d’oxydation du CH4 un peu plus faible, mais du même ordre de grandeur, que celui du mélange compost-paille (Tableau 1 dans Fedrizzi, Cabana, Ndanga et Cabral, 2018). Ainsi, il serait tout à fait viable d’utiliser d’autres mélanges et de les acclimater (ou conditionner) pour optimiser leur performance.
La Figure 4 présente la 3e séquence de tests avec les deux colonnes (C1 et C2), qui inclut deux cycles complets de gel-dégel. Les résultats des deux premières séquences sont présentés et discutés en détail dans Fedrizzi, Cabana, Ndanga et Cabral (2018). L’axe vertical de droite à la Figure 4 présente l’efficacité d’oxydation du CH4. On observe que pour les deux biofiltres l’efficacité d’oxydation (ligne pointillée) se maintient près de 100 % tout au long des deux cycles de gel-dégel de la 3e séquence.
L’axe vertical de gauche permet de suivre l’évolution dans le temps de la température à trois points le long de chacun des deux biofiltres (lignes continues des deux graphiques). Les points situés en haut (à 40 cm de la base) étaient les plus proches du refroidissement, alors que les points de contrôle situés au bas (à 5 cm de la base) étaient exposés au gaz introduit à 17 oC. Les températures dans la partie inférieure des biofiltres sont restées suffisamment élevées pour permettre l’activité microbienne d’oxydation du CH4, alors que les températures près du milieu ont varié de quelques degrés seulement. Seules les températures au point de contrôle situé près du haut des colonnes, plus exposées aux cycles de gel/dégel, ont varié de façon prononcée.
Conclusions et limitations
Les résultats de notre étude montrent qu’il est possible d’oxyder la presque totalité du CH4 des gaz d’échappement des bâtiments d’élevage de vaches laitières. Ce type de résultat est possible s’il y a construction de très grands biofiltres. Or, de gros biofiltres ne posent pas de problème dans les fermes laitières canadiennes, car il y a souvent suffisamment d’espace pour les installer et les matériaux nécessaires (paille, compost, sciure et copeaux de bois, etc.) sont abondants. L’étude montre aussi (résultats non présentés ici) que certaines étapes préalables à la mise en fonctionnement sont cruciales, notamment l’acclimatation.
Étant donné que le nombre de vaches au Canada est estimé à 945 000, si les gains d’efficacité obtenus dans notre étude étaient transposés aux conditions réelles, les biofiltres passifs à faible coût seraient en mesure de réduire tout près de 3 Mt éq. CO2 chaque année, soit 5 % des émissions associées au secteur agricole canadien, ou 0,45 % des émissions totales de GES du pays.
Une étude à l’échelle pilote de l’efficacité d’un biofiltre passif de grandes dimensions, exposé à de forts débits et à de faibles concentrations de méthane, ainsi qu’aux éléments, permettra de confirmer si cette solution prometteuse s’avère. Avant d’être adoptée dans le contexte des fermes laitières, la technologie de biofiltration passive devra passer le test des coûts. Dans un contexte favorable (p. ex. si on inclut la réduction des émissions des fermes laitières dans le cadre du système d’échanges de crédits de carbone), cette solution permettrait aux fermes laitières, exposées aux aléas des accords internationaux, de trouver une source de revenus intéressante.