Droit et politique

Référentiel de compétences pour les corps professionnels de l’environnement bâti et de l’aménagement du territoire

L’adaptation aux changements climatiques et la formation continue au Québec

L’Observatoire québécois de l’adaptation aux changements climatiques (OQACC) et le consortium Ouranos, deux organismes cofinancés par Ressources naturelles Canada (Gouvernement du Canada, 2024) et le ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (Gouvernement du Québec, 2020), ont choisi de travailler de concert à la création d’une formation en adaptation aux changements climatiques s’adressant à la fois aux spécialistes du génie, de l’urbanisme et de l’architecture. Ces professionnels et professionnelles ont accès à 5 modules totalisant 15 heures de formation en ligne asynchrone et dont l’objectif premier est d’accroître suffisamment les compétences, les croyances et les connaissances pour qu’ils adoptent des comportements favorisant l’adaptation de l’environnement bâti et du territoire aux changements climatiques.

Pour ce faire, les responsables du projet devaient élaborer cette formation en prenant appui sur les besoins précis des spécialistes des domaines visés. À cet effet et dans le cadre d’une démarche donnant lieu aux quatre étapes générales décrites à la figure 1, l’équipe a d’abord travaillé à délimiter le portrait général des besoins principaux de ces professionnelles et professionnels en la matière. Une fois les grands paramètres identifiés, l’équipe a conçu un référentiel de compétences susceptible de répondre à ces besoins et qui fait l’objet du présent article.

Notons au passage que tant la démarche suivie pour concevoir ce référentiel que les grandes composantes de son contenu sont transposables à tout projet dont l’un des objectifs serait de favoriser, au sein d’une profession, l’adoption de comportements encourageant une adaptation aux changements climatiques.

La notion de compétence

Le caractère générique de la compétence fait qu’elle doit être transposable dans plusieurs contextes ou situations (Tardif, 2006). Pour parvenir à la traduire en objectifs d’apprentissage, il faut l’opérationnaliser, c’est-à-dire déterminer quelles sont les ressources à mobiliser dans le cadre de la formation à créer et identifier les types de tâches que les personnes apprenantes doivent être en mesure d’effectuer au terme de la formation. La pyramide de Miller (1990) qu’illustre la figure 2 décrit des niveaux potentiels de complexité d’une compétence. L’axe latéral de la pyramide illustre le fait que le développement d’une compétence passe graduellement de connaissances très spécifiques à des habiletés plus générales pour aboutir finalement à des attitudes et des savoir-être. Au bas de la pyramide se trouvent les aspects plus strictement cognitifs de la compétence (des connaissances et des savoir-faire plutôt techniques). Les niveaux plus élevés de la pyramide sont le siège des composantes plus dynamiques et comportementales de la compétence que sont les stratégies et les moyens mis en œuvre pour parvenir à atteindre les objectifs finaux et plus complexes de la compétence.

Un référentiel de compétences en adaptation aux changements climatiques

La démarche utilisée

Le référentiel proposé a été réalisé par un partenariat regroupant des spécialistes de l’OQACC et du consortium Ouranos, ainsi que trois personnes spécialisées dans les enjeux climatiques : une professeure (aménagement du territoire) et un professeur (génie civil et génie des eaux) de l’Université Laval ainsi qu’une conseillère en développement durable de la Société québécoise des infrastructures (architecture). À cette équipe se sont greffés des représentants des trois ordres professionnels ciblés par la formation, à savoir l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ), l’Ordre des urbanistes du Québec (OUQ) et l’Ordre des architectes du Québec (OAQ) (Valois et al., 2021).
La démarche générale adoptée par le groupe de travail pour élaborer ce référentiel a donné lieu aux sept étapes et opérations générales suivantes, qui ont été réalisées de 2019 à 2023  :

  1. le groupe s’est d’abord efforcé de dresser une liste initiale exhaustive des thèmes de formation en se basant sur les recommandations de trois spécialistes en adaptation aux changements climatiques issus des milieux universitaires et gouvernementaux ;
  2. pour juger de l’importance et de l’exhaustivité des thèmes proposés, il a ensuite fait appel à un échantillon de 34 individus faisant partie de la population ciblée (professionnels et professionnelles du génie, de l’architecture et de l’urbanisme) ;
  3. en prenant appui sur les référentiels de compétences propres à chacun des trois ordres professionnels en cause, deux professionnelles de recherche de l’OQACC ont énoncé une liste de compétences s’appliquant à chacun des ordres en particulier ;
  4. trois des quatre spécialistes invités à dresser la liste initiale des thèmes potentiels de formation à l’étape 1 ont été chargés de valider la liste des compétences définies ;
  5. une équipe de six personnes formée de membres issus de l’OQACC et d’Ouranos a procédé à la révision des trois listes de compétences retenues pour s’assurer que la terminologie utilisée convenait à chacune des professions et juger si, de façon réaliste, les compétences pouvaient être effectivement développées dans le cadre d’une formation de durée limitée ;
  6. trois représentants et représentantes des ordres professionnels concernés ont été invités à valider les listes de compétences constituées ;
  7. l’équipe de recherche a colligé l’ensemble des informations et est parvenue à identifier une compétence générale et quatre compétences connexes.
Le référentiel de compétences

Le référentiel de compétences proposé est composé d’une compétence générale et de quatre compétences connexes. Quelques exemples d’apprentissages associés à chacune des compétences permettent d’en éclairer la nature et de les détailler. Ces exemples respectent le caractère multiniveau de la complexité d’une compétence considérée plus haut, à savoir que les premiers apprentissages associés à une compétence sont essentiellement des connaissances et habiletés précises alors que les apprentissages supérieurs relèvent plutôt du domaine des attitudes ou des savoir-être.

Au centre du référentiel, la compétence générale regroupe tout ce qui se rattache à l’intégration de l’adaptation aux changements climatiques à une pratique professionnelle. Pour qu’un individu soit effectivement en mesure d’intégrer l’adaptation aux changements climatiques à sa pratique professionnelle, il se doit d’avoir développé, au moins partiellement, une ou des compétences connexes associées à la compétence générale dans le référentiel. Ce dernier a d’ailleurs été conçu pour qu’il y ait une certaine complémentarité entre les compétences connexes pour pouvoir considérer que la compétence générale a été globalement développée. On notera au passage que les savoirs climatiques entourent la compétence générale sans pour autant être rattachés à aucune des quatre compétences connexes. Ces savoirs correspondent à des connaissances de base qu’un professionnel doit acquérir pour parvenir à développer les compétences du référentiel. Ils constituent en quelque sorte les assises de l’intégration de l’adaptation aux changements climatiques dans une pratique professionnelle. Au nombre de ces savoirs climatiques de base se trouvent la distinction entre les concepts d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques, les explications sur des concepts tels que les gaz à effet de serre, l’albédo et la variabilité naturelle.

Autour de la compétence générale, une première compétence connexe vise à ce que le spécialiste soit capable de faire appel aux diverses plateformes de projection climatique. Les apprentissages reliés à cette compétence débutent avec la description des plateformes de projection du climat et la question de la sélection des variables adéquates relatives à la production de projections climatiques. Ces variables peuvent référer à un horizon de temps, à un modèle climatique ou à un scénario climatique. Par la suite, les apprentissages à réaliser se complexifient lorsqu’il est question d’évaluer les risques engendrés par les changements climatiques dans le cadre d’un projet en particulier et, finalement, de justifier le choix des projections climatiques considérées les plus appropriées dans le cadre d’un cas particulier.

Une seconde compétence connexe met davantage l’accent sur la capacité comme telle à mettre en œuvre une démarche d’adaptation aux changements climatiques. Pour développer cette compétence, les personnes apprenantes doivent d’abord apprendre à établir des liens entre la protection du public, les milieux de vie et certains concepts d’adaptation aux changements climatiques, comme la vulnérabilité, l’exposition au risque et la capacité d’adaptation des gens. Les apprentissages portent par la suite sur la mise en pratique des étapes d’une démarche d’adaptation, soit la reconnaissance d’un enjeu, comment s’y préparer en analysant les options possibles, la mise en place de mesures d’adaptation aux changements climatiques et, enfin, l’ajustement selon les résultats obtenus. Le professionnel ou la professionnelle devrait être apte à réaliser une analyse de risques associés aux changements climatiques et à recommander des actions ou des mesures d’adaptation appropriées. Implicitement, cette compétence implique la capacité de sélectionner les ressources et de faire appel aux programmes d’appui offerts pour la réalisation de projets d’adaptation.

La troisième compétence du référentiel amène le ou la spécialiste à concevoir des projets résilients aux changements climatiques. À cette fin, les apprentissages portent d’abord sur la capacité d’identifier divers types de mesures d’adaptation, d’avoir conscience des limites qui leur sont propres, de déterminer des champs d’application auxquels ils se prêtent et leurs inconvénients respectifs. À cette gamme de savoirs s’ajoute la capacité pour le professionnel ou la professionnelle d’identifier les mesures d’adaptation non structurelles, comme les lois, les règlements, les codes ou les normes s’appliquant à des projets particuliers. Le spécialiste intègre et porte à un niveau supérieur la maîtrise de cette compétence en apprenant à implanter des mesures d’adaptation structurelles, c’est-à-dire des infrastructures grises, vertes ou naturelles dans des projets et en cherchant à instaurer des mesures d’adaptation qui soient innovantes. C’est à cette compétence que se raccroche la capacité d’agencer des mesures d’adaptation appropriées à l’environnement bâti et au territoire existant.

La quatrième et dernière compétence du référentiel est, quant à elle, axée sur tout ce qui se rapporte à la collaboration avec les diverses parties prenantes d’un projet pour en optimiser l’effet potentiel d’adaptation. Les apprentissages reliés à cette compétence s’intéressent d’abord à la capacité du spécialiste de situer le rôle plus précis de sa profession dans le domaine de l’adaptation aux changements climatiques. Le volet plus pratique de cette compétence porte sur des apprentissages associés à l’élaboration de mesures conjointes d’adaptation définies avec diverses spécialités professionnelles, à la structuration de projets d’adaptation impliquant les différentes parties prenantes concernées, dont la communauté citoyenne, les personnes élues, la clientèle ou les gestionnaires et, ultimement, à rallier les parties prenantes à l’idée de la nécessité de devoir s’adapter aux changements climatiques.

La transposition du référentiel

Comme il a été souligné, le référentiel de compétences a servi de base à la création d’une formation. S’il est prétentieux d’affirmer que cette formation mène au développement complet des quatre compétences décrites, il est néanmoins assuré qu’elle contribue à leur développement.

Les paragraphes qui suivent présentent une description succincte des contenus des cinq modules de formation :

  • Module 1 (Savoirs climatiques) : Ce module constitue en quelque sorte une introduction générale sur le sujet. Il permet d’acquérir ou de valider les principales notions de base associées aux changements climatiques, dont les liens entre les concentrations de gaz à effet de serre et les changements climatiques, les changements observés dans le monde en général, au Canada et au Québec en particulier ainsi que leurs impacts potentiels sur les pratiques professionnelles ciblées. Cette vue générale devrait faciliter l’approfondissement de certains éléments associés par la suite à ces notions.  
  • Module 2 (Compétence 1) : Ce module vise à favoriser la compréhension de la modélisation climatique, l’utilisation des données climatiques de façon efficace dans la pratique professionnelle de l’apprenant ou de l’apprenante de même qu’une interprétation juste des changements attendus en fonction de l’analyse de certaines données climatiques.
  • Module 3 (Compétences 2 et 4) : Le troisième module met en lumière la complexité de certains termes de la science de l’adaptation et précise le sens de certains termes parfois confondus les uns les autres. Il s’intéresse en outre à présenter des solutions potentielles pour surmonter certains défis rencontrés au moment d’appliquer des mesures d’adaptation, comme l’absence de données appropriées, le manque d’expertise pertinente, les coûts élevés, les faibles bénéfices à court terme ou encore un échéancier serré.
  • Module 4 (Compétences 2 et 4) : Ce module a pour fonction première de décrire en détail les diverses étapes d’une démarche d’adaptation ainsi que les outils qui s’y rattachent. Ce ne sont pas les mêmes outils qui sont présentés aux professionnels du génie, de l’architecture et de l’urbanisme. Cette différenciation des apprentissages vise à approfondir les compétences en lien avec chacune des professions. De façon indirecte, cela est également susceptible de contribuer à une meilleure collaboration interdisciplinaire, chaque professionnel jouant un rôle différent, mais complémentaire à celui des autres dans l’avancement d’un projet, ainsi qu’une meilleure prise en compte des infrastructures, des aménagements et des rapports sociaux existants.
  • Module 5 (Compétence 3 et 4) : Ce module présente des mesures concrètes en réponse aux enjeux d’adaptation, à savoir des mesures souples et non structurelles, des mesures structurelles et des mesures technologiques. Comme dans le cas du module 4, les mesures présentées varient en fonction des professions en cause et, encore ici, contribuent au fait que leur éventuelle collaboration s’en trouve renforcée, de même que la prise en compte du contexte social et économique.
La transposition du référentiel à d’autres professions ou individus

Comme il a déjà été souligné, le référentiel de compétences a pour avantage d’être transposable à des initiatives de formation s’adressant à diverses professions. À titre d’exemple, des ingénieurs chimiques ou autres pourraient réinvestir le référentiel en y intégrant graduellement l’adaptation aux changements climatiques. Songeons simplement au fait que les plateformes de projections climatiques pourraient leur être utiles pour évaluer notamment des conditions futures de températures annuelles extrêmes, ainsi que les aider à concevoir des procédés qui contribueraient éventuellement à amoindrir une plus grande fréquence d’épisodes de fortes chaleurs ou de froids intenses.

De la même façon, il est tout à fait imaginable que des médecins de la santé publique fassent appel à ces plateformes de projection pour identifier les zones d’un territoire où les changements climatiques risquent le plus de toucher la population et, par la suite, en collaboration avec les élus locaux, les directions régionales de santé publique et d’autres types de professionnels et professionnelles (urbanistes, architectes, etc.), recommander la création ou la mise en place d’îlots de fraîcheur pour atténuer les conséquences potentielles d’épisodes de chaleur extrême au sein des agglomérations touchées.

Le référentiel proposé peut ainsi devenir un outil pratique d’intervention, notamment pour concevoir un guide de perfectionnement professionnel ou une formation visant à intégrer l’adaptation aux changements climatiques dans la pratique de diverses professions québécoises.

Enfin, ce référentiel de compétences est certes perfectible. Il ne fait pas de doute qu’il devra être révisé au fil du temps, en raison de l’avancement des connaissances et des technologies dans le domaine de l’adaptation aux changements climatiques. Il est également souhaité que des discussions émergent entre chercheurs et chercheuses sur leurs conceptions d’un tel référentiel.

Nous tenons à remercier Jean-Paul Voyer pour ses commentaires pertinents et le consortium Ouranos pour sa rigoureuse collaboration.

Liste des auteurs par ordre de priorité. Sauf mention, tous les auteurs sont membres de l’Université Laval.
Myriam Roy-Lelièvre, Pierre Valois, Laurence Poulin, Sandrine Tremblay-Houde, Adrien Cantat, Nishodi Indiketi, François Anctil, Geneviève Cloutier et Catherine Dubois (Société québécoise des infrastructures).

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