En raison des changements climatiques, le nombre de jours de pluie et la quantité de précipitations devraient augmenter dans certaines régions du Québec, ce qui pose le défi de la gestion durable et in situ des eaux pluviales. Pour les régions situées plus au sud, les plus récentes projections montrent que les printemps et les hivers seront marqués par une hausse des précipitations totales d’eau. Pour l’été et l’automne, les événements de pluie seront plus courts, mais plus fréquents et intenses (Ouranos, MSP et MAMH, 2020). Ces changements dans la fréquence et la distribution des événements de précipitation laissent envisager une augmentation de différents phénomènes comme des inondations localisées, des surverses d’eaux usées dans les cours d’eau, des étiages plus prononcés des cours d’eau en période de sécheresse, etc.
Si les villes ont une plus grande marge de manœuvre pour l’implantation de mesures visant la gestion des eaux de pluie sur le domaine public (trottoir, parc, stationnement municipal, etc.), leur déploiement sur le domaine privé
reste toutefois tributaire de modifications aux outils d’urbanisme. Une enquête réalisée en 2017-2018 sur l’utilisation des règlements d’urbanisme au Québec montre que la gestion durable et in situ des eaux de pluie est peu intégrée aux principaux règlements d’urbanisme, soit entre 20 % et 30 % des différents règlements étudiés (Rochefort, 2019). Bien qu’il soit possible d’émettre l’hypothèse que cet encadrement ira en augmentant, l’utilisation de ces outils comme moyen d’adaptation aux changements climatiques demeure actuellement peu documentée et, par le fait même, faiblement partagée.
Cet article a donc pour objectif d’illustrer comment ces outils peuvent contribuer à une gestion écologique des eaux de pluie et, plus spécifiquement, de décrire trois exemples innovants mis en place par des villes de taille différente. Les informations présentées dans cet article découlent d’un travail de recherche réalisé en 2020 dans le cadre du Labo Climat Montréal1, une recherche-action partenariale composée d’une équipe de huit professeur.e.s-chercheur.euse.s et de huit stagiaires associée à quatre universités et menée en collaboration avec la Ville de Montréal et Ouranos. Ce travail visait à documenter et à partager des exemples québécois en matière d’encadrement du développement urbain dans une perspective d’action climatique avec différents acteurs impliqués dans le projet Lachine-Est. Deux outils de partage des connaissances ont été créés2, soit un document comprenant 13 fiches synthèses et un webinaire présenté à quelques reprises en 2020 et 2021.
Contribution possible des outils d’urbanisme à la gestion durable et in situ des eaux de pluie
Les nouvelles réalités climatiques n’impliquent pas nécessairement la création de nouveaux outils d’urbanisme. En effet, les municipalités québécoises ont déjà à leur disposition divers outils permettant d’encadrer la gestion durable de l’eau. Certains outils ont une valeur légale et sont notamment définis à la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (L.R.Q., c. A-19.1). Le Tableau 1 illustre quelques exemples d’outils ainsi que leur utilisation possible pour gérer les eaux de pluie.
En plus des outils réglementaires illustrés au Tableau 1, on assiste également, depuis une dizaine d’années, à l’essor de nouvelles approches pour encadrer le développement urbain. Une de celles-ci est inspirée du concept de Form-Based Code, laquelle est davantage axée sur l’encadrement de la forme urbaine (volume et implantation des bâtiments, par exemple) plutôt que sur l’encadrement des différentes fonctions urbaines sur un territoire (résidentielle, industrielle, commerciale, etc.). En principe, l’approche réglementaire de type Form-Based Code mène à la production d’un seul document comprenant à la fois des aspects normatifs et des aspects discrétionnaires (à savoir des aspects évalués au cas par cas). Le Form-Based Code peut aussi se décliner à travers la combinaison d’outils plus traditionnels comme le zonage et le règlement sur les plans d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA). Popularisé en même temps que l’accroissement des préoccupations en matière de changements climatiques, le Form-Based Code prend souvent en compte la gestion des eaux de pluie.
Mentionnons que le contenu et l’application des outils jugés plus traditionnels illustrés au Tableau 1 tendent également à se transformer et à inclure certains éléments ayant une valeur incitative, dont des guides en matière de conception (Design Guidelines) et des chartes. Ces outils ont rarement une valeur légale et sont généralement utilisés de manière complémentaire aux outils jugés plus traditionnels. Les guides de conception comprennent généralement des informations et des illustrations servant à orienter les développeur.euse.s dans la réalisation de leur projet, et ce, en vertu des qualités attendues. Quant aux chartes, il s’agit généralement de documents énonçant certains enjeux d’aménagement visant différents éléments comme la qualité des logements, la gouvernance de projets, le développement urbain durable, etc. Elles énoncent, le plus souvent, la vision et les principes partagés entre les individus et les organisations qui y adhèrent. Des incitatifs financiers ou autres (par exemple : un système de certification) peuvent quelquefois être prévus pour encourager l’adhésion des différents acteurs concernés. Cette transformation récente des outils traditionnels prend souvent en compte la gestion des eaux de pluie.
Trois exemples d’outils innovants
Voyons maintenant en détail les normes réglementaires, les critères ou les principes d’aménagement de trois outils d’urbanisme jugés innovants et qui pourraient servir d’exemple en matière de gestion durable et in situ des eaux sur le territoire des municipalités du Québec.
Le Système d’évaluation en développement durable de la Ville de Brossard
Le Système d’évaluation en développement durable (SEDD) de la Ville de Brossard est une grille de pointage à partir de laquelle est évalué l’impact environnemental des projets de développement. Intégrée au Règlement sur les plans d’implantation et d’intégration architecturale, cette grille propose 32 crédits (thèmes) de développement durable, auxquels sont liés des exigences et des pointages respectifs. Tout comme un processus de certification LEED3, le respect des exigences associées à chaque crédit (thème) permet de cumuler des points. Le SEDD ne mène toutefois pas à une certification, mais une note de passage minimale de 60 % est nécessaire afin que les projets soumis au SEDD soient acceptés par le conseil municipal. Il s’agit d’un outil flexible, car les développeur.euse.s choisissent les crédits et les exigences à respecter pour atteindre la note de passage en fonction de leur projet. En imposant certaines exigences associées à un système de pointage, l’outil permet, d’une part, d’encadrer plus objectivement les demandes déposées à la Ville et, d’autre part, d’orienter les développeur.euse.s dans la conception de leurs projets. Cela permet également à la Ville une certaine marge de négociation avec les développeur.euse.s.
À titre d’exemple, le SEDD encourage les développeur.euse.s à se doter d’un plan de gestion des eaux pluviales visant des objectifs précis d’infiltration de l’eau. Un point est obtenu si le projet de développement vise à retenir 50 % des eaux pluviales et un total de quatre si les mesures proposées visent à retenir plus de 80 % des eaux pluviales (voir crédit no 10 à la Figure 1). De façon complémentaire, des exigences en lien avec le thème sur l’irrigation (crédit no 23) visent à favoriser l’installation d’un système d’irrigation raccordé à un système de récupération des eaux de pluie ou grise. De nombreux crédits du SEDD portent également sur l’augmentation de la végétation, la plantation d’arbres et les espaces verts, lesquels peuvent contribuer à ralentir l’infiltration de l’eau. Par exemple, pour accroître leur nombre de points, le thème sur la contribution au patrimoine d’espaces publics encourage les développeur.euse.s à céder à la Ville une superficie supérieure au 10 % de terrain normalement demandé pour fins de parcs ou d’aménager des espaces verts privés sur une superficie supérieure à 25 % de ses terrains (voir crédit no 9 à la Figure 1). Le SEDD accorde également des points pour limiter le nombre de cases de stationnement dans les projets, contribuant ainsi à la réduction des surfaces imperméables (crédit no 16).
Le Code villageois de la Ville de Pointe-Claire
Le Code villageois est un règlement de type Form-Based Code (défini ci-haut) applicable au village de Pointe-Claire. Celui-ci a été découpé en 10 unités paysagères, lesquelles remplacent la division établie au règlement de zonage. Les dispositions normatives et discrétionnaires de chaque unité paysagère sont rassemblées et illustrées dans une fiche thématique permettant de lier l’ensemble des mesures d’encadrement de façon à bien percevoir leurs interactions.
En matière de gestion des eaux de pluie, le Code se démarque sur le plan de la diminution des cases de stationnement et de leur aménagement. En plus de diminuer les ratios maximums autorisés, le Code introduit une norme visant à encourager le partage des cases de stationnement pour des usages ayant des périodes d’achalandage complémentaires. Une formule mathématique et des facteurs de division entre les usages permettent ainsi de diminuer le nombre minimum requis (Figure 2). De plus, pour tout usage résidentiel de cinq logements et plus, le Code requiert que 25 % des cases minimales requises soient situées dans un stationnement intérieur ou souterrain. Combinées, ces normes contribuent à réduire les surfaces imperméables qui nuisent à une bonne gestion des eaux pluviales. Le Code va toutefois plus loin et intègre des critères de verdissement envisagés en fonction de leur capacité à améliorer la perméabilité des sols. Les critères visent à introduire un minimum de 30 % de surfaces perméables (verdissement ou matériaux perméables) et à encourager l’aménagement de noues de rétention végétalisées.
Les lignes directrices d’aménagement du nouveau campus de l’Université de Montréal (Campus MIL)
Trois guides administratifs ont été conçus par la Ville de Montréal afin de baliser le réaménagement de l’ancienne gare de triage Outremont visant à construire le nouveau campus de l’Université de Montréal (Campus MIL).
Ces guides ont été élaborés dans un souci de cohérence entre les aménagements sur le domaine public et les développements immobiliers sur le domaine privé, ainsi qu’entre le projet et ses abords. Ces lignes directrices sont complémentaires à une entente de développement sur les conditions de réalisation du projet signée entre la Ville et l’université en 2011.
Les lignes directrices se démarquent tout particulièrement sur le plan de la gestion des eaux pluviales. Elles sont formulées pour favoriser l’infiltration des eaux, mais aussi pour répondre aux besoins en irrigation. Les lignes directrices émettent un certain nombre de principes généraux, lesquels sont souvent accompagnés d’illustrations (voir Figure 3).
Sur le domaine public, la Ville de Montréal propose de prévoir la captation des eaux pluviales à même les saillies de trottoir et une gestion de l’eau par biorétention au sein des rues partagées (Figure 3). Dans sa programmation des futurs parcs, la Ville prévoit également que deux terrains de sport soient réalisés afin que ces équipements agissent aussi comme des bassins de rétention. La Ville reconnaît également le rôle de rétention des arbres en milieu urbain et prévoit « l’utilisation de systèmes de biorétention, l’installation de pavés perméables ou l’agrandissement de l’ouverture des fosses » (2019, p. 28) pour récupérer l’eau et permettre à l’arbre de se nourrir correctement. La Ville accorde de plus une grande importance à la résilience des espèces arboricoles et végétales face aux pressions biologiques, climatiques et environnementales. Les lignes directrices viennent spécifiquement préciser les espèces les plus appropriées aux différents espaces et conditions, notamment face aux épisodes de pluies abondantes. Par exemple, des végétaux ont spécifiquement été recommandés pour tolérer la sécheresse prolongée et, en période de pluie abondante, le fait d’être submergés d’eau.
Sur le domaine privé, les lignes directrices sur le verdissement ont été formulées pour compléter les interventions, parfois limitées, sur le domaine public. Les lignes directrices annoncées aux développeur.euse.s portent principalement sur l’aménagement des parterres verdis, la rétention des eaux en toiture, le verdissement des cours avant, la plantation d’arbres et la mise en place d’infrastructures vertes dans les aires de stationnement extérieures.
À chacun son contexte et son jeu d’outils
Les outils d’urbanisme permettent aux villes d’évoluer et de se développer de façon globale, durable et harmonieuse. Les municipalités québécoises disposent d’ores et déjà d’une panoplie d’outils et de pouvoirs pour encadrer la gestion des eaux pluviales. Le choix des différents outils à utiliser est crucial, car il vient définir, en partie, la contribution ou l’effort demandé aux différents acteurs publics ou privés en ce qui a trait à cet enjeu d’intérêt collectif. Le contenu des différents outils n’est pas uniquement une question légale, mais il dépend également de choix politiques (ce que l’on souhaite couvrir ou non) et des conditions de marché (ce que l’on est capable d’exiger). Pour les professionnel.le.s qui auront à réviser les outils d’urbanisme dans les prochaines années et qui souhaiteraient se doter d’une nouvelle approche réglementaire en matière de gestion des eaux de pluie, il pourrait être utile de parcourir les fiches synthèses qui ont été réalisées sur 13 outils d’urbanisme innovants utilisés au Québec. Par la suite, cette série de questions pourrait également aider à déterminer le(s) type(s) d’outils à adopter :
- D’abord, quelles sont les priorités en matière de gestion des eaux pluviales (ou autre enjeu climatique) pour votre organisation ? Ces priorités sont-elles spécifiques à un secteur ou s’appliquent-elles également à d’autres secteurs ?
- Ensuite, quelles sont les ressources de l’administration municipale pour répondre aux priorités identifiées (budget, connaissance, temps, marché, etc.) ?
- Enfin, eu égard aux réponses données aux deux premières questions, quels sont les avantages et les désavantages associés à chaque outil et comment est-il possible de combiner ces outils pour atteindre les résultats recherchés ?
N’oublions pas que l’opinion et les demandes des citoyen.ne.s peuvent également avoir une influence sur les choix politiques et, par conséquent, sur le contenu des outils d’urbanisme. Rappelons qu’avec les changements climatiques, les variations dans les régimes des précipitations se traduiront par des perturbations dans divers types d’événements climatiques, lesquels pourront entraîner des répercussions sur les propriétés immobilières, les finances publiques et privées, les activités quotidiennes et la qualité de vie. Les activités de consultation publique sur la révision des outils d’urbanisme sont l’un des espaces permettant aux citoyen.ne.s d’exprimer leurs préoccupations eu égard à la gestion des eaux et, plus généralement, à la prise en compte des impacts des changements climatiques à l’échelle locale. Les organismes de bassin versant du Québec (OBV) publient également différentes ressources et organisent de nombreuses activités sur différents thèmes associés à la gestion intégrée de la ressource eau.
Pour plus d’informations, vous pouvez consulter le site web du Labo Climat à l’adresse : https://laboclimatmtl.inrs.ca/
Les fiches synthèses et le support visuel du webinaire sont disponibles à l’adresse : https://laboclimatmtl.inrs.ca/resultats/modalites-dencadrement-des-projets-urbains/
Le processus de certification LEED permet d’attester, par un système de conditions préalables et de crédits, le respect del’environnement lors de la réalisation d’un bâtiment ou d’un développement.