Enjeux de société

Verdissement et santé publique : quand les communautés se mobilisent

Les changements climatiques perturbent déjà la santé et le bien-être de la population québécoise. Notamment, les épisodes de chaleur extrême peuvent causer une surmortalité et une augmentation des hospitalisations (Bustinza et al., 2013). Malheureusement, le nombre de jours où la température dépasse 30 °C dans la région de Montréal, par exemple, pourrait passer de 11 jours annuellement pendant la période 1981-2010 pour atteindre jusqu’à 42 jours par année pour la période 2041-2070, selon les scénarios climatiques d’Ouranos (2021).

En ville, où vit plus de 80 % de la population québécoise, la minéralisation et la faible canopée des quartiers centraux provoquent une augmentation de températures estivales pouvant atteindre jusqu’à 12 °C de plus par rapport aux zones rurales environnantes (Drapeau et al., 2021). Ces îlots de chaleur urbains perturbent particulièrement la santé et le bien-être des populations vulnérables comme les personnes à faible revenu, les personnes âgées, les jeunes enfants, les femmes enceintes et leur fœtus, les personnes souffrant de maladies chroniques, celles aux prises avec des ennuis de santé mentale et les personnes vivant seules ou en perte d’autonomie (Drapeau et al., 2021). Les îlots de chaleur urbains amplifient, lors d’épisodes de chaleur extrême, les problèmes de santé directement liés à la chaleur (par exemple, la déshydratation ou les coups de chaleur) ou aux maladies chroniques (telles que les maladies cardiovasculaires ou le diabète).

Le verdissement constitue l’une des mesures préconisées pour lutter contre les îlots de chaleur urbains et contribuer à l’adaptation des villes par rapport à la crise climatique (Drapeau et al., 2021). Le rafraîchissement moyen de 1 °C à 4,7 °C généré par la plantation de végétaux peut s’étendre à près d’un kilomètre (Drapeau et al., 2021). Le verdissement offre plusieurs autres bénéfices pour la santé physique et mentale des citadins en réduisant la pollution atmosphérique et le bruit, en favorisant le contact avec la nature, en offrant des opportunités d’activité physique, etc. Le verdissement contribue aussi à créer des communautés plus résilientes, entre autres en renforçant le capital social par la socialisation et en favorisant le développement d’un sentiment d’appartenance (Beaudoin et Levasseur, 2017).

Les projets de verdissement communautaire évalués

Afin de favoriser la réalisation d’actions concrètes de lutte contre les îlots de chaleur urbains, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), dans le cadre du «  Plan d’action sur les changements climatiques 2006-2012 du gouvernement du Québec  », a lancé des appels de propositions à l’échelle provinciale.

Une quarantaine de projets de lutte contre les îlots de chaleur urbains destinés aux populations vulnérables ont été réalisés par des acteurs des secteurs public et communautaire de 2010 à 20141. Les aménagements visaient des places fraîcheur, des ruelles vertes, des stationnements écologiques, des cours d’école, des aires de jeu de centres de la petite enfance ou l’aménagement de l’enveloppe de bâtiments. Plus de 3  000  arbres et 26  000  arbustes / plantes grimpantes / vivaces et annuelles ont été plantés, plus de 600 m2 de toiture verte ont été implantés et plus de 1 500 bacs d’agriculture ont été installés.

Près de dix ans plus tard, l’INSPQ a souhaité évaluer la pérennité des aménagements et de leurs bienfaits. Cet article présente les résultats de cette évaluation par rapport aux bénéfices perçus, aux obstacles rencontrés et aux facteurs de succès et de pérennité, autant sur les plans environnementaux que sociaux. Ces constats permettent également d’émettre des recommandations pour favoriser la réussite de projets de verdissement urbains. Seule la portion liée aux actions de verdissement des projets est discutée, bien que certains projets comprenaient des actions complémentaires sur les matériaux de recouvrement du sol et des bâtiments.

Trente-six projets ont été visités en 2019. Ces visites ont permis d’évaluer l’état de la végétation, l’occupation de l’espace et l’utilisation des lieux ainsi que la perception de fraîcheur procurée par la végétation. Des entrevues ont été réalisées pour 29 projets avec une personne responsable de la réalisation du projet ou de son suivi au sein des organismes promoteurs. Divers sujets ont été abordés concernant la participation des partenaires et citoyens, les retombées sociales et communautaires perçues, l’entretien et la pérennisation des plantations, ainsi que les défis rencontrés.

Les bénéfices observés du verdissement urbain

En matière de bénéfices sur la santé physique, bien que la mesure directe de l’effet de la végétalisation sur la température ambiante n’ait pas été possible, la perception du confort thermique a été rapportée lors des visites terrain et des entrevues. Dans 92  % des cas, on ressent une amélioration du confort thermique. En outre, le potentiel de diminution de la température augmentera dans le temps alors que les arbres gagneront en maturité. De plus, 55  % des zones verdies contribuent à la pratique d’activité physique, notamment par le jardinage (42  % des projets comprenaient de l’agriculture), le jeu ou le transport actif.

La participation citoyenne aux efforts de verdissement contribue également aux bénéfices en lien avec la santé des communautés. En effet, l’un des bienfaits les plus rapportés est la socialisation : 72 % des personnes-ressources rencontrées en ont fait mention. Les bénéfices rapportés comprennent : une augmentation du sentiment de sécurité ; une diminution des incivilités comme le vandalisme ; une perception plus positive du milieu de vie ; une augmentation du sentiment d’appartenance et une plus grande mixité sociale.

Les partenariats et la participation citoyenne favorisent la pérennité des projets

Le taux de survie de la végétation plantée était important pour l’ensemble des projets visités. À cet égard, certains des facteurs pouvant favoriser la pérennité sont le partenariat et l’implication citoyenne. En effet, 60  % des projets ont été réalisés en partenariat : les municipalités, écoles et organisations reliées à l’habitation se sont souvent adjointes les services d’un organisme à but non lucratif (OBNL) œuvrant en verdissement. Ces organismes peuvent contribuer à la mobilisation et à l’engagement de diverses personnes touchées par les actions. D’ailleurs, 72  % des projets comprenaient une forme de participation citoyenne, allant de la consultation à la participation aux plantations et à leur entretien. Dans plusieurs cas, cette participation citoyenne a également permis de compenser les ressources financières limitées de plusieurs porteurs de projet, qui ne leur permettaient pas d’employer des paysagistes. Sans compter que plusieurs bienfaits sociaux rapportés, tels que la socialisation, le sentiment d’accomplissement et le sentiment d’appartenance, sont grandement influencés par la participation.

Transformation d’une partie d’un stationnement à Montréal-Nord, réalisée en partenariat avec Parole d’excluEs et la SHAPEM (La photo de gauche a été prise pendant les travaux en 2010 et la photo de droite a été prise lors du suivi en 2019). Crédits photo: Parole d’excluEs et Daniela Kowu.

Les défis du verdissement communautaire

La mise en œuvre de ces projets a parfois comporté quelques défis. Pour les OBNL en particulier, un défi fréquemment rapporté est celui du roulement de personnel, entraînant une perte des connaissances de l’historique du projet, des partenaires et de la relation avec les citoyens et citoyennes. Dans certains cas, une démobilisation de ces groupes a été observée avec le temps.

Concernant la pérennité des plantations, certains facteurs ont nui à l’entretien et à la survie des végétaux. La plupart des projets auraient bénéficié d’un financement accru pour l’entretien des plantations. Ensuite, certains aménagements ont été victimes de leur succès : la fréquentation des lieux a entraîné le piétinement des plantations ou la présence de déchets. Par ailleurs, le manque de connaissances sur les besoins en matière d’habitat et d’entretien des végétaux est lié à une mortalité importante des végétaux dans certains projets. Par exemple, certaines plantations n’ont pas résisté à l’hiver ou encore sont mortes par manque d’arrosage. Parfois, des plantes exotiques envahissantes ont pris le dessus sur les plantations d’origine en raison du manque d’entretien.

Des recommandations pour pérenniser les projets de verdissement communautaires

Pour des partenariats durables

Les partenariats peuvent contribuer à la résilience des projets et à étendre les bénéfices à une plus grande partie de la population. Les partenariats réussis sont favorisés par une clarté dans la définition des objectifs poursuivis ainsi que dans les rôles et responsabilités de chaque personne. Une bonne communication à toutes les étapes est aussi gage de succès. Tous ces éléments doivent être précisés dès le départ et sont à revisiter au fil du projet, selon les capacités de chacun et de chacune. En milieu scolaire, en plus d’une volonté forte de l’établissement, les partenariats sont souhaitables si l’expertise n’est pas disponible au sein même de l’organisation.

Pour pallier le roulement des intervenants et intervenantes, il est recommandé de tenir une «  encyclopédie  » du projet colligeant les informations sur les personnes impliquées ; leurs rôles, responsabilités et coordonnées ; les aménagements faits et les calendriers d’entretien, par exemple. Cette encyclopédie devrait être mise à jour le plus régulièrement possible. De cette manière, de nouveaux participants pourront s’intégrer de manière plus efficace et il y aura moins de risques de perdre l’historique du projet.

Pour une participation citoyenne optimale

L’engagement citoyen dans le projet est favorisé par une participation active à tous les stades : de la conception à la plantation et l’entretien. En particulier, la consultation des populations ciblées par les interventions ou touchées par le projet permet de prendre en compte leurs besoins et leur intérêt à participer.

Une consultation en amont du projet permet de mettre en place une intervention de verdissement qui correspond aux besoins des futurs usagers et usagères et qui en décuplera les bénéfices grâce à une appropriation accrue. Cette gestion participative est souvent adoptée par les OBNL, mais peut être appliquée dans d’autres contextes, comme en milieu scolaire.

Une remobilisation saisonnière doit être prévue pour pallier le roulement des participantes et participants (résidents et résidentes dans les habitations, élèves et parents pour les projets scolaires), mais aussi pour permettre à d’autres personnes intéressées de rejoindre l’initiative qui, autrement, pourrait devenir hermétique.

Pour un verdissement pérenne

Afin de sélectionner les bonnes espèces à planter au bon endroit, il est crucial de s’informer auprès de spécialistes du verdissement (pépiniéristes, architectes paysagistes, botanistes, etc.). Par exemple, dans les cours d’école comme dans les parcs, il faut prévoir des plantations qui peuvent survivre au piétinement ou qui seront protégées de manière adéquate. Les plantes vivaces rustiques demandent moins d’entretien et résistent mieux aux conditions météorologiques, peu importe la saison. Enfin, bien que l’agriculture urbaine procure de nombreux bénéfices, elle demande un entretien important, voire quotidien, selon les plantes choisies. Il faut planifier cet investissement en temps et en ressources dès le départ pour ne pas se retrouver avec des bacs et plates-bandes abandonnés après quelques années.

Pour maximiser les effets sur la santé par la diminution des températures, les arbres ont le plus fort potentiel de rafraîchissement comparé à d’autres types de végétation et leurs effets se bonifient dans le temps. Si le budget le permet, il est préférable de prioriser les arbres de plus fort calibre, qui vont avoir un effet plus rapidement pour réduire la chaleur. De plus, les arbres ainsi que les vignes demandent moins d’entretien, outre un arrosage les premières années, sont moins vulnérables au piétinement lorsqu’ils ont atteint une certaine taille et sont susceptibles d’avoir une plus grande pérennité.

Pour minimiser les conséquences néfastes sur la santé, il faut aussi éviter de planter des espèces à fort potentiel allergène (tels que les bouleaux). Les arbustes et herbacées indigènes compétitifs sont à privilégier pour limiter la prolifération des espèces végétales exotiques envahissantes et nuisibles, comme l’herbe à poux.

Le budget pour l’entretien et le remplacement des végétaux dans les années qui suivront les aménagements est à planifier dès le départ. Ces sommes peuvent être plus ou moins importantes selon la nature du projet. Par exemple, les arbres de forts calibres sont plus coûteux, mais risquent de mieux résister aux dommages accidentels (par exemple, le piétinement) que des arbres de petit calibre. Au contraire, les budgets de remplacement de végétaux risquent d’être plus importants lorsque des espèces peu adaptées à la rigueur des hivers québécois ont été plantées ou pour les projets d’agriculture urbaine comprenant une forte proportion d’espèces annuelles. Il est donc recommandé d’être prudent sur le plan budgétaire, car les budgets sont souvent sous-estimés, mais sont nécessaires à la pérennité des aménagements.

Des pistes de recherche pour maximiser les bénéfices

Afin de favoriser encore plus les bonnes pratiques de verdissement urbain communautaire et ainsi maximiser les bénéfices sur la santé des communautés, de nombreuses avenues de recherche restent à explorer.

En matière de bénéfices sur les communautés, une attention particulière devrait être portée sur les freins rencontrés à la participation et à l’accès aux bénéfices des initiatives de verdissement au Québec par certains groupes (par exemple, les populations racisées) et sur les façons de promouvoir des initiatives encore plus inclusives. Dans le même ordre d’idées, il serait pertinent de mieux comprendre l’influence potentielle des projets de verdissement sur l’intégration des immigrants et immigrantes dans leur nouveau milieu de vie. Enfin, il est essentiel de mieux comprendre les leviers pour prévenir le processus d’éco-embourgeoisement (ou gentrification verte ou environnementale). En effet, le verdissement urbain peut parfois augmenter l’attractivité des quartiers et donc la valeur foncière des propriétés (Wolch et al., 2014). Ce phénomène pourrait éventuellement rendre les logements trop dispendieux pour les ménages à plus faible revenu, qui pourraient se voir déplacés de leur milieu de vie et ne pas être à même de bénéficier du verdissement de leur quartier.

En ce qui a trait aux plantations, il vaudrait la peine de mieux étudier les préférences en matière d’aménagement paysager pour répondre aux besoins multiples des populations ciblées afin de maximiser à la fois les bénéfices sociaux et écologiques par une plus grande appropriation des espaces verts. La «  performance  » de différents assemblages végétaux pourrait aussi être évaluée, notamment en matière de rafraîchissement et d’habitat pour la biodiversité urbaine.

En terminant, ce regard porté sur ces projets a démontré l’engouement de la population pour le verdissement et ses bénéfices sociaux et environnementaux. Un constat fort émerge de la démarche : l’implication de la communauté constitue un gage de succès et de pérennité des projets de verdissement tout en maximisant les bienfaits sociaux et sanitaires. Plusieurs initiatives ont d’ailleurs été bonifiées avec le temps ou encore ont inspiré des initiatives similaires. En bref, ces projets de verdissement communautaires génèrent un vent de fraîcheur sur nos municipalités, qui en ont bien besoin pour faire face à la crise climatique.

La localisation des projets est présentée sur le site : www.monclimatma sante.qc.ca/carte-des-projets-contre-les-ilots-de-chaleur.aspx

 

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