Des avalanches meurtrières : une menace pour la pérennité des chèvres de montagne ?

Un compte rendu critique par Kallan Crémel (Candidat au doctorat) et Fanie Pelletier (Professeure titulaire)
Département de biologie
Université de Sherbrooke

Pour accéder à l’ouvrage original:
White, K. S., Hood, E., Wolken, G. J., Peitzsch, E. H., Bühler, Y., Wikstrom Jones, K., & Darimont, C. T. (2024). Snow avalanches are a primary climate-linked driver of mountain ungulate populations. Communications Biology, 7(1), 423. Repéré à https://doi.org/10.1038/s42003-024-06073-0

L’Alaska est l’une des régions du monde où le réchauffement climatique est le plus prononcé, avec une augmentation des températures plus élevée que n’importe quel autre État américain et deux fois plus rapidement que le reste de la planète (Markon et al. 2018). De plus, les avalanches sont l’une des principales sources de risque géologique en Alaska et leur fréquence risque d’augmenter dans le futur. Y vivre en milieux escarpés vient donc avec son lot de dangers.

En revanche, les animaux alpins comme les chèvres de montagne (Oreamnos americanus) ont évolué avec certaines adaptations pour vivre et se déplacer dans des sites en pentes raides. En fait, l’utilisation de falaises est un excellent moyen de protéger les jeunes chevreaux contre les prédateurs tels que les loups et les ours. Toutefois, en hiver, ces terrains escarpés peuvent devenir très dangereux. En effet, les chèvres empruntent de nombreux sentiers le long des parois rocheuses, façonnant ainsi des corridors de déplacement le long du relief enneigé. Cependant, ces corridors peuvent se trouver dans des zones où la neige est particulièrement instable et où les risques d’avalanches sont plus élevés.

Dans un article récent intitulé Snow avalanches are a primary climate-linked driver of mountain ungulate populations, Kevin S. White et ses collaborateurs montrent clairement l’effet négatif des avalanches sur la survie des chèvres de montagne. Des observations anecdotiques de chèvres décédant après avoir déclenché des avalanches ont déjà été rapportées auparavant. Toutefois, l’ampleur des effets des avalanches sur les animaux alpins était jusqu’ici insoupçonnée.

La détection des avalanches meurtrières

L’étude de White et coll. (2024) utilise dix-sept ans de données collectées sur 421 chèvres de montagne provenant de quatre populations du sud-est de l’Alaska dans les chaînes de montagnes côtières. Les animaux étaient équipés de colliers GPS permettant aux auteurs d’estimer les chemins empruntés par chèvres, et donc, de déterminer si ces dernières se sont aventurées dans des terrains à risques avalancheux.

La survie des chèvres a donc été suivie intensivement afin de déterminer la date et le lieu de mortalité et en déterminer la part attribuable aux avalanches durant cette période. Les terrains à risques avalancheux ont, quant à eux, été définis en trois étapes. La première consistait à déterminer les zones potentiellement à risque. La deuxième visait à déterminer l’épaisseur de neige nécessaire au déclenchement de l’avalanche. Enfin, la dernière constituait en une simulation des risques d’avalanche à l’aide des données des deux premières étapes. Ainsi, les auteurs ont pu obtenir une cartographie précise des risques d’avalanches pour les quatre sites d’étude.

Tableau 1. Synthèse des zones d’étude et de leurs caractéristiques populationnelles

PopulationType d’habitat hivernalExposition aux risques avalancheuxTaux de mortalité due aux avalanches
BaranofHabitat alpin et subalpinForte65 %
KlukwanHabitat alpin et subalpinForte39 %
Lynn CanalHabitat forestier de basse altitudeFaible23 %
Cleveland PeninsulaHabitat forestier de basse altitudeFaible29 %
Une échappatoire vers un danger plus grand ?

Un des résultats clé de l’étude est que le taux de mortalité des chèvres est lié au temps passé dans les terrains avalancheux. En effet, les chèvres retrouvées mortes dans ces secteurs y passaient en moyenne 67 % de leur temps pendant la saison hivernale contre 54 % pour celles qui sont décédées d’autres causes. Dans l’ensemble, les avalanches représentaient alors 8 % de la mortalité annuelle de la population suivie, ce qui en fait alors un élément particulièrement structurant pour la dynamique de population. Chez cette espèce, les adultes affichent habituellement un taux de survie très élevé. De plus, les résultats de l’étude mettent en lumière l’ampleur inattendue de cette mortalité liée aux avalanches. En effet, elle peut atteindre les 22 %, lorsque les conditions d’avalanche sont décrites comme sévères [1] par les auteurs, des valeurs jusque-là inconnues. Les avalanches pourraient ainsi représenter de véritables pièges écologiques pour les chèvres de montagne, car ces dernières maintiendraient l’accessibilité à des sites d’alimentation riches tout en étant potentiellement mortelles. Compte tenu du faible taux de fécondité de cette espèce, une augmentation importante de la mortalité annuelle pourrait ne pas être soutenable à long terme et induire des extinctions locales.

Bien que les effets documentés dans cette étude soient importants, avec une atteinte possible à la pérennité de l’espèce, la généralisation de ceux-ci à d’autres sites alpins et montagnards reste encore incertaine. En effet, la région de l’étude, à savoir celle des montagnes côtières d’Alaska, démontre de nombreuses particularités topographiques et météorologiques telles qu’un terrain particulièrement escarpé et une proximité à la mer. À noter aussi que seuls les adultes ont été inclus dans l’analyse par les auteurs : il se pourrait donc que le taux de mortalité soit encore plus élevé puisque les jeunes animaux, moins expérimentés et agiles, pourraient être encore plus affectés par les avalanches.

Un futur incertain pour les chèvres des montagnes

Les changements climatiques influenceront les conditions neigeuses en hiver, notamment dans les milieux alpins. Par exemple, on s’attend à une augmentation de la fréquence des précipitations neigeuses de grande ampleur ainsi qu’à une augmentation de la fréquence des évènements de pluies sur neige dans l’espace nord-américain.

Ces nouvelles conditions reliées au réchauffement climatique contribueront à l’instabilité du manteau neigeux, augmentant ainsi le risque d’avalanches. D’ailleurs, des études ont déjà montré une augmentation de la fréquence des avalanches avec le réchauffement climatique dans un contexte géographique partageant des similarités avec la région alpine de l’Alaska, soit dans la chaîne de montagnes de l’Himalaya (Ballesteros-Cánovas et al., 2018).

Les populations de chèvres de montagne sont globalement en déclin à l’échelle mondiale. L’augmentation de la fréquence des avalanches due aux changements climatiques risque de compromettre leur pérennité. Les auteurs soulèvent que des adaptations comportementales par la voie de l’essai-erreur sont invraisemblable, dues à la forte mortalité entraînée par les avalanches. Il semble donc peu probable que des adaptations visant à minimiser la mortalité par ce géorisque se développent. L’avenir de ces populations risque d’être fortement mis à mal dans le futur, d’autant plus que des pertes d’habitats estivaux à cause des changements climatiques sont attendues, avec des effets possiblement similaires chez d’autres espèces d’ongulés alpins.

Conditions résultant de la combinaison de plusieurs facteurs tels quel la période de l’année où la neige est la plus instable (octobre/novembre et avril/mai), la topographie (ex. pente sévère) induisant des faiblesses structurelles du manteau neigeux et des fortes variabilités météorologiques intra-hivernale.

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