Perspectives

Communiquer pour l'adaptation de la biodiversité

La biodiversité, c’est l’extraordinaire variation de la vie sur Terre, dans toute son originalité. Ce sont aussi les processus du vivant, comme la décomposition des sols, la photosynthèse et tout ce qui rend le monde unique et diversifié, tels les gènes et les paysages. Les changements climatiques bouleversent la biodiversité qui, naturellement, s’adapte autant que possible. Pour prendre de bonnes décisions de protection, de conservation et de restauration, il importe de bien connaître la biodiversité et de la suivre dans un climat changeant. En effet, pour protéger une espèce, encore faut-il savoir où elle se trouve aujourd’hui et où elle sera dans dix ans. Très vite, un enjeu crucial apparaît : comment gérer ces montagnes de données sur la biodiversité et comment les partager et les communiquer au plus grand nombre ?

L’adaptation aux changements climatiques est définie comme un processus d’ajustement des systèmes naturels et humains à un environnement en changement. La modélisation climatique — tout comme la prédiction de la réponse des systèmes naturels et humains à ces changements — est une discipline parsemée d’inconnues. Par conséquent, la gestion de l’incertitude est au cœur des stratégies d’adaptation, qui doivent nécessairement être dynamiques : inscrites dans un cycle où se succèdent des étapes d’évaluation, de planification, d’implantation et de suivi de la performance. Ainsi, toute démarche d’adaptation doit nécessairement comprendre un système de surveillance des mesures mises en place. Encore faut-il que ces informations soient accessibles à l’ensemble de la société, notamment aux journalistes, aux gestionnaires de territoires, à la société civile ainsi qu’aux citoyennes et citoyens pour les impliquer dans un processus de rétroaction.

Les connaissances scientifiques sur la biodiversité et ses changements progressent à un rythme comparable à celles sur les changements climatiques. Toutefois, l’information sur les changements climatiques prend un espace croissant dans les médias nationaux et internationaux, contrairement à celle sur la biodiversité et ses changements (Legagneux et al., 2018), qui tend à rester à l’intérieur de la communauté de la recherche. Alors, communiquer efficacement les enjeux sur la biodiversité, ses changements et son adaptation dans un contexte du réchauffement du climat s’avère un défi de taille et devrait être une priorité pour la recherche (Gravel, 2021).

Dans ce contexte, un nouveau partenariat scientifique, Biodiversité Québec, est né dans l’objectif de faciliter l’observation, l’analyse et le partage d’information sur l’état de la biodiversité au Québec. Le corollaire de cette démarche est qu’une communication étroite entre la science, le monde politique et le reste de la société est nécessaire pour permettre l’adaptation des systèmes naturels et humains aux changements climatiques. Cette démarche a officiellement abouti au lancement du portail Web de Biodiversité Québec, en marge de la 15e Conférence des Parties de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique, en décembre 2022, à Montréal.

Biodiversité Québec, une solution concrète

Biodiversité Québec a pour mission de colliger les données d’observation, d’améliorer le suivi de la biodiversité au Québec et de rendre accessibles des synthèses et des analyses au public grâce à un portail Web (Encadré 1). Ce partenariat scientifique vise aussi à sensibiliser les Québécois et Québécoises aux enjeux de la biodiversité ainsi qu’à soutenir les décideuses et décideurs politiques et les gestionnaires de territoire dans leurs décisions grâce à des informations éclairées.

Le gouvernement du Québec, des chercheurs et chercheuses universitaires et de nombreux partenaires participent à cette démarche interdisciplinaire qui regroupe des domaines variés, tels que la biologie,
la réflexion sur la conception, l’intelligence d’affaires, l’informatique, la géomatique, la communication stratégique, la modélisation et les statistiques, le droit, la gouvernance et la politique appliquée.

Encadré 1  : La biodiversité du Québec en un seul clic

Connaissez-vous la biodiversité québécoise près de chez vous ? Peut-être avez-vous déjà observé un dryocopus pileatus, mieux connu sous le nom de grand pic et plus célèbre sous celui de Woody Woodpecker ? Sur quel arbre se trouvait-il ? Un pin rouge (pinus resinosa) ou peut-être une épinette rouge (picea rubens) ?
Une démarche orientée sur l’utilisateur

Le portail Web est l’aboutissement d’un long processus de conception s’appuyant sur la réflexion au sujet de la conception, ci-après appelé le design thinking. Il s’agit d’une approche de résolution de problèmes qui met l’accent sur la compréhension profonde des besoins des utilisateurs, la génération d’idées créatives et l’itération rapide pour parvenir à des solutions novatrices (Brown, 2008). En se plaçant dans les chaussures des utilisateurs, les concepteurs parviennent à mieux cerner le contexte du problème et à trouver des solutions innovantes. Dans notre cas, le cœur du problème était d’offrir une vitrine sur la remarquable biodiversité du Québec.

La première étape du processus de design thinking vise à comprendre les besoins, les motivations et les défis des utilisateurs cibles. Les concepteurs ont misé sur une approche tout à fait nouvelle en proposant l’élaboration conjointe de «  proto-personas  » avec l’équipe scientifique. Cette collaboration itérative a permis de décrire différents publics ciblés par Biodiversité Québec : les gestionnaires de territoire, les leaders d’opinion, les scientifiques et finalement le grand public, avec une insistance sur la génération montante. Chaque public a été représenté par un personnage fictif avec une courte biographie, une description des aspirations et objectifs en matière de biodiversité ainsi qu’une appréciation des compétences techniques et scientifiques (Figure 1). Contrairement à des approches centrées sur la récolte de données, le design au moyen de proto-persona est plus empirique, basé sur l’imagination et l’expérience des concepteurs. L’utilisation de cette approche est néanmoins vulnérable aux biais, conscients et inconscients, et notre démarche a été complétée par des entrevues qualitatives, desquelles ont résulté des personas.

Figure 1. Exemple de fiche pour le proto-persona sur la génération montante
La démarche de prototypage du portail

Après l’élaboration des personas caractérisant les différents publics cibles, l’équipe a fait appel à deux cohortes d’étudiants diplômés de la maîtrise en design d’interaction de l’Université Laval. Plus d’une dizaine d’équipes ont proposé différents modèles d’applications : des jeux interactifs sur les papillons à l’intention de la génération montante, des assistants pour les observations citoyennes en randonnée ou encore un tableau interactif d’évaluation d’impacts sur la biodiversité de différents projets de développement. La synthèse de ce matériel a ensuite nourri l’élaboration de la maquette finale soumise à l’équipe de développement. Quatre produits ont été ciblés : un tableau interactif d’accès aux inventaires du Réseau de suivi de la biodiversité du Québec, un Atlas pour accéder à l’ensemble des observations de biodiversité du Québec ainsi qu’à des couches géomatiques (p. ex., scénarios de changements climatiques), un tableau d’indicateurs qui dresse le portrait sur l’état de la biodiversité du Québec et finalement, une section Découverte pour placer tout ce matériel en contexte, au moyen de courts articles de vulgarisation, de balados et de capsules interactives.

Le travail de Biodiversité Québec partage de nombreux éléments communs avec l’intelligence d’affaires. À l’intersection entre la gestion, les affaires et l’informatique, cette science émergente s’appuie sur l’analyse stratégique, les technologies de l’information, les statistiques et les entrepôts de données, puis les analyse de façon à produire une information permettant d’orienter la prise de décision stratégique. Le portail Web est un archétype de cette démarche, alliant le développement de bases de données (appelé le back-end dans le domaine) et leur représentation par différents outils Web interactifs (appelés le front-end). Au centre de ces deux couches se trouve une étape d’analyse qui permet de traiter les informations et de les retourner dans un format précis destiné aux utilisateurs.

Adapter la communication sur la biodiversité

Un problème qui motive Biodiversité Québec est de comprendre comment parler et faire parler de la biodiversité. Pour le découvrir, Biodiversité Québec veut explorer différents modèles de communication dans sa section Découverte, notamment pour rejoindre la génération montante, les journalistes et les décideurs et décideuses politiques.

Il est plus difficile, en biodiversité, de trouver un symbole aussi efficace, percutant et parlant que le désormais «  célèbre  » 1,5  °C entériné dans l’Accord de Paris en 2015. Un nombre, soufflé en 2019 par le rapport de l’IPBES, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (parfois surnommée «  le GIEC de la biodiversité  »), se fraye une place dans la discussion publique : un million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction au cours des prochaines décennies, comme nous l’expliquions dans un précédent article pour Le Climatoscope (Gravel, 2020).

Mais un nombre est-il vraiment le meilleur moyen de communiquer à notre disposition ? Après tout, la biodiversité dispose d’un capital de sympathie auquel le climat peut plus difficilement prétendre : la formule du CH4 vous émeut-elle plus qu’un bébé raton laveur (Figure 2) ?

Figure 2. Les enjeux de biodiversité peuvent capitaliser sur une image de marque attachante, comme ce bébé raton laveur. Crédit photo : G. Bendig, Unsplash
On protège…
seulement ceux qu’on aime ?

Le défi se corse lorsqu’on parle d’autres espèces, parfois menacées, et à première vue moins attendrissantes, comme les utiles Fées noires aux longues antennes (Adela caeruleella) qui décomposent le bois ou la mulette-perlière de l’Est (Margaritifera margaritifera), qui produit de jolies perles à partir d’un grain de sable, et les cheumatopsyches1, à la base de la chaîne alimentaire. On comprend rapidement que bâtir une communication sur la biodiversité uniquement basée sur le critère du «  mignon  » nous condamne à parler à outrance des ours polaires (Ursus maritimus) et à négliger effrontément les corydales cornues (Corydalus cornutus).

Peut-être que le Graal de la communication sur le vivant serait, plutôt, la capacité à transmettre la valeur de la biodiversité en elle-même, sans jugement esthétique ni préférences discriminantes entre espèces. Dans cette quête, les espèces emblématiques ne sont plus les têtes d’affiche, mais bien la diversité et la complexité du vivant en soi. Par exemple, quelles ingénieuses technologies naturelles rendent l’air respirable et les sols cultivables ! Quel incroyable chef-d’œuvre de la nature que celui de la décomposition des sols par des micro-organismes aux noms impossibles à retenir !

Encadré 2  : Le nouveau Cadre Mondial sur la biodiversité et son programme de suivi

Les négociations qui ont eu lieu à la 15e Conférence des Parties de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique se sont conclues par l’adoption du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal. Le gouvernement du Québec « adhère à cet accord et s’engage à l’appuyer selon ses compétences, ses échéanciers et ses ressources  » (Gouvernement du Québec, 2022).
Mais… comment dire ?

Bien sûr, la communication est une question de fond, mais aussi de forme : l’important est de transmettre l’information dans une forme intelligible pour la personne qui la reçoit. Autrement dit, par quels outils, par quels canaux, peut-on efficacement communiquer sur la biodiversité ?

L’attention de la population est très sollicitée, notamment par les enjeux climatiques qui s’intensifient. Des auteurs ont d’ailleurs bâti le néologisme d’«  infobésité  » pour qualifier ces dernières décennies d’abondance d’informations (Sauvaol-Rialland, 2014). Comment y ajouter la couche de la biodiversité ? Une piste intéressante est celle de la communication sur les solutions qu’offre la nature. En effet, la nature est une alliée précieuse pour, notamment, notre bien-être, notre santé et l’action climatique ! Si les enjeux climatiques remplissent la tête des gens, la biodiversité pourrait donc bien faire battre leur cœur.

Comme expliqué précédemment, les canaux traditionnels, comme les médias, paraissent sous-exploités concernant les enjeux de la biodiversité, au même titre que les stories Instagram et les chaînes YouTube. Grâce à ces créatrices et créateurs d’histoires et d’émotions, le milieu pourrait aussi détenir quelques clés pour déverrouiller la conscientisation envers la nature. Citons les cas notables du film Le Monde du silence du commandant Jacques-Yves Cousteau, qui a obtenu la Palme d’or du Festival de Cannes et l’Oscar du meilleur film documentaire en 1956, ou, plus récemment, le docu-mentaire La sagesse de la pieuvre (My Octopus Teacher), également récompensé aux Oscars en 2021.

À ce jour, l’Atlas répertorie plus de 2  200 espèces différentes depuis 1950, observées notamment par des citoyens et citoyennes qui utilisent, entre autres, iNaturalist. De plus, les inventaires de terrains offrent les informations du Réseau de suivi de la biodiversité du Québec (https://www.environnement.gouv.qc.ca/biodiversite/reseau-suivi-biodiversite.pdf), qui visent à évaluer les changements dans les écosystèmes et à documenter les conséquences des changements climatiques sur différentes espèces, comme les papillons de jour et les sauterelles (Figure 3). Des indicateurs de la biodiversité permettent de recevoir des informations claires et importantes sur l’état de la biodiversité au Québec. Enfin, l’onglet Découverte fait découvrir la biodiversité québécoise grâce à des contenus vulgarisés qui informent, expliquent, étonnent, voire… fascinent !

Figure 3. Vue des sites d’inventaire du Réseau de suivi de la biodiversité du Québec

Adopté par 195 États, le Cadre mondial se structure autour de quatre objectifs à long terme pour 2050. L’objectif A porte sur la protection des différentes dimensions de la biodiversité, notamment sur la fin des extinctions d’origine humaine. L’objectif B porte sur l’utilisation durable et la valorisation des contributions de la nature aux populations. L’objectif C porte sur le partage juste et équitable des services écosystémiques. L’objectif D porte finalement sur les moyens à mettre en place, notamment les ressources financières, pour mettre en œuvre pleinement le Cadre mondial de la biodiversité.

Le Cadre mondial de la biodiversité comprend également un cadre global de suivi de la biodiversité, constitué de nombreux indicateurs que les États devront évaluer et rapporter. Chaque pays devra préciser son plan de suivi à la prochaine COP sur la biodiversité. Certains indicateurs sont précis et facilement calculables pour le territoire québécois (p. ex., pourcentage du territoire sous une certaine catégorie de protection). D’autres sont plus difficiles à régionaliser (p. ex., le Red List Index) ou toujours en développement (p. ex., l’étendue des écosystèmes naturels).

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