Dossier - Perspectives municipales

La démocratie municipale : pilier de la transition écologique en milieu rural

La transition écologique occupe une place grandissante dans le discours public. Si des États, comme la France, possèdent un ministère de la Transition écologique, c’est surtout au sein des localités que l’idée connaît une popularité croissante. En témoigne notamment le mouvement Villes en transition[1]. En raison de leur taille et de leur importante consommation, les centres urbains retiennent immanquablement l’attention en matière de transition écologique. L’importance démographique, le poids politique et le rôle économique des villes, entre autres, en font des endroits privilégiés pour développer une société à la fois écologique et résiliente face aux aléas des changements climatiques (Bilodeau, 2019). Bien que nécessaire, l’importance octroyée à l’espace urbain occulte une autre réalité, soit celle des communautés rurales. Peu d’études s’intéressent aux caractéristiques de la transition écologique en dehors des grandes agglomérations. C’est pourquoi cette recherche se penche sur la manière dont les municipalités du monde rural québécois réalisent une transition écologique sur leur territoire. On constate que les transitions écologiques pilotées par ces municipalités reposent sur des instruments de démocratie participative.

La transition écologique en milieu rural

Au Québec, on recense 1131 gouvernements locaux[2]. De ce nombre, seules 46 municipalités comptent une population supérieure à 25 000 personnes. Autrement dit, la quasi-totalité des municipalités québécoises ne se situe pas en zone fortement urbaine, mais évolue plutôt en territoire rural ou nordique. Paradoxalement, seuls 32,1 % de la population québécoise habitent en région. Malgré leur taille souvent réduite et leur faible densité de population, une analyse des sites internet de ces localités démontre un intérêt de leur part pour la préservation de la nature et la promotion du développement durable. Il s’en trouve même quelques-unes, dans le monde rural, pour mettre de l’avant une transition écologique, sous une forme ou une autre.

Le concept de transition écologique est soumis à diverses définitions. D’une part, on considère la transition comme « un ensemble de changements liés qui se renforcent entre eux, mais prennent place dans différents domaines, comme la technologie, l’économie, les institutions, le comportement, la culture, l’écologie et les systèmes de croyances » (Rotmans, Kemp et van Asselt, 2001, p. 16, traduction libre[3]). D’autre part, le caractère écologique renvoie à l’importance accordée aux crises environnementale et climatique tout comme à la promotion de la durabilité dans les activités humaines (Geels, 2011; Markard, Raven et Truffer, 2012). Ainsi, prendre en compte les limites planétaires, répondre aux enjeux de la crise écologique ou atteindre une production et une consommation durables ne sont que quelques-unes des finalités avancées dès lors que l’on aborde la transition écologique. Du côté des municipalités rurales, les objectifs précédemment nommés sont mobilisés non seulement dans les discours entourant la transition écologique, mais également la carboneutralité, la transition énergétique, la communauté socioécologique, le virage vert ainsi que la lutte et l’adaptation aux changements climatiques. C’est pourquoi nous définissons la transition écologique comme un processus global de transformation à long terme impliquant de nombreux acteur.rice.s dont l’objectif vise à solutionner les crises environnementale et climatique ou leurs conséquences (Rotmans, Kemp et van Asselt, 2001; Markard, Raven et Truffer, 2012; Geels, 2011). Bien que large, cette définition permet d’inclure une diversité de démarches, tout en dépassant les contraintes d’un usage strict de l’appellation « transition écologique ».

La consultation au service de la transition écologique

Les municipalités étudiées[4] s’appuient sur des plans d’action et autres politiques pour encadrer leur démarche de transition. Composés d’actions concrètes, de principes directeurs ou d’objectifs à atteindre, ces « plans de transition » témoignent des conceptions et de la compréhension des enjeux locaux portés par la municipalité. Pourtant, l’un des instruments centraux de ces transitions prend forme à l’extérieur de ces plans. On recense en effet plusieurs exemples d’instrument de démocratie participative (IDP) mis en place pour élaborer le plan de transition, assurer son opérationnalisation ou encore veiller à sa bonification et à son actualisation au fil du temps. 


En matière de consultation, la législation municipale québécoise est peu contraignante. La Loi sur l’aménagement et l’urbanisme mentionne la possibilité pour une municipalité de former un comité consultatif d’urbanisme (CCU), formé d’élu.e.s et de citoyen.ne.s et d’« attribuer à ce comité des pouvoirs d’étude et de recommandation en matière d’urbanisme, de zonage, de lotissement et de construction » (Art. 146, no.2[CDF1] [PB2] ). Alors que la consultation revêt un caractère facultatif dans la législation québécoise, sa présence dans chacune des municipalités étudiées étonne.

Trois modèles d’IDP apparaissent dans le monde rural. Le premier modèle est la consultation ponctuelle. Les gens sont invités à participer à une assemblée publique, soit pour partager leur vision du projet, soit pour valider les propositions de la municipalité. À Warwick par exemple, l’adoption du plan Warwick en transition a été précédée d’un exercice de consultation publique. La population a été invitée à participer à une rencontre dans le but d’établir les objectifs et le contenu du plan de transition de la municipalité.

Le deuxième modèle est l’instance consultative permanente. La municipalité met en place un comité ou une commission dont l’objectif est de formuler des avis au conseil municipal en matière de transition écologique et d’environnement. La municipalité de Lac-Mégantic a opté pour cette formule en créant la « commission de l’innovation et de la transition écologique (CITÉ) ». Composé de douze personnes, dont deux élu.e.s, la CITÉ agit comme « la conscience environnementale de la ville » en considérant les préoccupations citoyennes et en déposant des recommandations auprès du conseil municipal.

Le troisième modèle est l’instance double. Plus rare, cette formule implique la création d’une instance de consultation permanente semblable à celle présentée précédemment à laquelle s’ajoute une instance permanente dont le mandat est de favoriser la mobilisation de la population autour des enjeux identifiés. La municipalité de Prévost s’est dotée d’un tel système. D’un côté, le comité consultatif du développement durable et de l’environnement (CCDDE) regroupe neuf citoyen.ne.s et trois élu.e.s et vise à formuler des recommandations sur les enjeux environnementaux. De l’autre, le comité climat de Prévost (CCP) rassemble une dizaine de citoyen.ne.s ainsi qu’un fonctionnaire municipal. Le CCP n’a pas pour mission de faire des recommandations au conseil municipal, mais plutôt de favoriser le changement d’habitudes et de comportements au sein de la population à travers la sensibilisation et l’accompagnement.

ModèlesDescription
Consultation ponctuelleAssemblée publique ponctuelle où la population est invitée à se prononcer sur les propositions municipales ou encore à suggérer ses idées concernant l’enjeu traité.  
Instance consultative permanenteInstance de consultation composée de citoyen.ne.s et d’élu.e.s dont la fonction est de soumettre des avis au conseil municipal.
Instance doubleÀ une instance consultative permanente s’ajoute une instance de mobilisation citoyenne pour la mise en œuvre de la transition. 
Figure 1. Modèles d’instrument de démocratie participative utilisés par les municipalités rurales dans le cadre de la transition écologique

Il faut noter qu’une municipalité peut employer plus d’une forme d’IDP dans ses démarches de transition. À Sainte-Flavie par exemple, une consultation publique a été organisée autour du plan de transition, même si la municipalité dispose d’un comité consultatif en environnement. La consultation ponctuelle apparait également comme l’IDP privilégié par les municipalités : on la retrouve dans six cas sur dix.

Choisir les instruments de démocratie participative

Cette recherche s’appuie sur une analyse documentaire et huit entrevues semi-dirigées réalisées auprès d’élu.e.s et de fonctionnaires municipaux entre décembre 2020 et avril 2021. Les entrevues permettent de mieux comprendre les motivations derrière le choix des municipalités d’employer des instruments favorisant la démocratie participative.

Premièrement, l’utilisation de ces instruments poursuit un objectif de communication. En utilisant les IDP, les municipalités voient un moyen de sensibiliser la population et de favoriser la compréhension de l’enjeu. Un élu témoignait de cet objectif au sein de sa municipalité :

« Il y a toujours un aspect communicationnel. On a beau avoir des beaux objectifs, des objectifs intéressants, il faut […] permettre à la communauté de se les approprier. Je suis moi-même, mais mon Conseil également, tenant de la démocratie participative. »

Cet intérêt à l’endroit de la communication est également complété par une volonté municipale de se renseigner sur les intérêts de la population :

« Avant d’écrire la politique, […] le maire avait monté un comité citoyen avec des élus aussi pour la transition écologique, pour les rencontrer, pour voir qu’est-ce qu’eux autres voulaient voir là-dedans, dans le plan ? Qu’est-ce qu’ils voulaient? C’était quoi, les priorités? Quel genre d’action ils voulaient que la municipalité pose ? Jusqu’où qui voulait qu’on aille, etc. On a impliqué la population là-dedans pour pas que ça sorte juste de nous, d’en haut, mais que les idées viennent la population. Parce que c’est eux autres que ça concerne. »

Deuxièmement, l’adoption de ce type d’instrument est vue par les municipalités comme un moyen de susciter l’engagement citoyen. Pour les élu.e.s et les fonctionnaires rencontrés, les IDP créent une opportunité d’implication pour la population, comme le montrent ces témoignages :

« C’est l’approche qu’on a prise au comité […]. C’est-à-dire que oui, c’est important une fois aux 4 ans, quand c’est le temps d’élire un nouveau [conseil], de regarder le programme électoral et de voir qu’est-ce qu’il y a en environnement. […] Mais si c’est juste ça, la vie va être frustrante. Donc, il faut rentrer l’action dans notre sphère de pouvoir. »

« Il y a toute une panoplie de stratégies pour aller rejoindre les gens dans des milieux ou des formules qui leur sont confortables. […] On voulait fournir plusieurs moyens pour les impliquer et leur permettre de collaborer à la démarche. »

« Dans la démocratie représentative, […] on va gouverner avec le mandat qui nous est confié, mais quand on parle qu’on veut rendre cette démocratie-là plus participative, on veut impliquer les gens comme étant eux-mêmes des moteurs de changements.  »

Troisièmement, les IDP apparaissent aux yeux des municipalités comme une perspective intéressante permettant d’innover en matière de politique publique. On retrouve derrière l’adoption de ce type d’instruments une volonté de sortir de l’approche réglementaire et coercitive pour se tourner vers de nouvelles formes de gouvernance. Deux élu.e.s ont souligné cet aspect :

« Ces comités-là sont là pour t’aider à préparer… Il n’y a rien de mieux qu’un comité qui te chicane. Parce que là tu dis : si mon comité, que c’est des gens qui sont déjà dévoués et convaincus, sont mécontents, bien je sais que je vais me faire ramasser au conseil de ville. Faque c’est mieux de changer tout de suite. Il faut que ce soit représentatif. »

« Personnellement, je pense que c’est ça qui va être le plus efficace à long terme parce que si on veut que les gens embarquent dans le mouvement, on ne peut pas être juste dans le coercitif, les forcer, puis le réglementaire. On va juste les écœurer, si on fait ça. »

En définitive, les IDP apparaissent aux yeux des acteur.rice.s municipaux comme des instruments favorisant à la fois la communication, la mobilisation sociale et le renouvellement de la gouvernance municipale. Les IDP représentent un carrefour où la population est en mesure de partager sa vision de la transition écologique tout en intégrant les impératifs et les enjeux locaux par la municipalité.

Conclusion

Les démarches de transition écologique initiées par les municipalités rurales du Québec témoignent des avantages d’une gouvernance participative. Les exemples mentionnés montrent le fort potentiel démocratique de la transition écologique comme projet de société à l’échelle locale. Ces cas illustrent la possibilité pour une municipalité de mettre en branle une transition écologique sur son territoire à partir d’une perspective institutionnelle tout en favorisant un dialogue sur cette transition auprès de sa population. 

Il convient néanmoins de demeurer prudent sur l’impact réel des IDP dans les démarches de transition. Si ces instruments représentent des opportunités en termes de démocratisation des pratiques, ils peuvent également être employés moins pour solliciter l’avis public que pour renforcer la légitimité politique des élu.e.s (Bherer, 2010). Dans cette perspective, rappelons que le modèle d’IDP le plus courant dans les cas étudiés est celui de la consultation ponctuelle, et non les instances permanentes. La municipalité de L’Islet, par exemple, a soumis son Plan d’adaptation aux changements climatiques (2019, p.5)à la validation citoyenne après sa conception par une firme spécialisée. Ainsi, même si la population a eu l’opportunité de soumettre des propositions supplémentaires, elle n’a pas participé pleinement au processus d’élaboration du plan. On peut également supposer que l’adoption d’IDP par les municipalités s’inscrit dans la mouvance que Blondiaux et Sintomer (2002) nomment « l’impératif délibératif », soit un processus de généralisation des « modes plus égalitaires de consultation de la «  base  » » (p. 18-19) par l’action publique. Sous cet angle, le recours systématique des municipalités aux IDP en matière de transition écologique représente moins une innovation que l’adhésion à une nouvelle norme au sein des appareils municipaux. 


[1] Villes en transition est un mouvement international s’appuyant sur l’action et la démocratie locale pour transformer la société. Le mouvement rassemble plus de 1000 municipalités de tailles diverses à travers le monde. Voir https://transitionnetwork.org/. 

[2] Selon les données ministère des Affaires municipales et de l’Habitation, ce nombre comprend les municipalités (1107) régies par le Code municipal et la Loi sur les cités et les villes, les villages nordiques, cris et naskapi (23) et le gouvernement régional d’Eeyou Istchee Bais-James.   

[3] « a set of connected changes, which reinforce each other but take place in several different areas, such as technology, the economy, institutions, behaviour, culture, ecology and belief systems. »

[4] Les municipalités étudiées sont les suivantes : Ham-Nord, L’Islet, Lac-Mégantic, Prévost, Sainte-Flavie, Saint-Sauveur, Saint-Zotique, Warwick et la MRC de Nicolet-Yamaska. Ces municipalités ont été sélectionnées selon trois critères : 1) une population inférieure à 20  000 personnes; 2) une déclaration d’intention de réaliser une transition écologique selon la définition identifiée plus haut; 3) le processus de transition doit avoir été adopté ou lancé durant le dernier mandat municipal (2017-2021).


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