Climactualité

Un compte rendu critique par Alison Munson
Professeure titulaire au Département des sciences du bois et de la forêt
Université Laval

Pour accéder à l’ouvrage original:
Dahl, K., Phillips, C., Race, A., Udvardy, S. & Ortiz-Partida, J.P. (2023). The Fossil Fuels behind Forest Fires: Quantifying the Contribution of Major Carbon Producers to Increasing Wildfire Risk in Western North America, Union of Concerned Scientists, Repéré à https://www.jstor.org/stable/resrep49377

Les communautés de l’Ouest des États-Unis et du Sud-Ouest du Canada sont de plus en plus
affectées par les feux extrêmes qui détruisent maisons et quartiers, causent des problèmes de santé et ont un impact significatif sur les budgets locaux dédiés à la prévention et la lutte contre ces désastres. Les batailles légales pour souligner la responsabilité corporative ont porté fruit dans le passé pour les produits comme le tabac et l’amiante. On voit donc entamer une approche similaire pour responsabiliser les compagnies de pétrole et leurs associations industrielles face au réchauffement de la planète. L’Union of Concerned Scientists (UCS) a récemment évalué la part de responsabilité de ces compagnies, qui sont au courant depuis les années ’60 des conséquences potentielles de leurs émissions.

Depuis les années ’80, presque 53 millions d’acres (21,5 millions d’ha) de forêt de l’Ouest d’Amérique du Nord ont brûlé. Les feux sont en moyenne plus grands en superficie, brûlent plus en altitude qu’avant et pendant une saison plus longue. La suppression des feux depuis plus d’un siècle voit se développer une végétation plus importante qui normalement aurait brûlé avec des feux moins intenses, mais plus fréquents. La densité des résidences en milieu forestier augmente le nombre de feux causés par des facteurs humains. En même temps, les changements climatiques entraînent des conditions plus chaudes et plus sèches. C’est une combinaison hasardeuse !

LES RISQUES DE FEU AUGMENTENT : POURQUOI?

La capacité de l’air à retirer l’eau de la végétation et des sols est mesurée par un indicateur de la sécheresse, le déficit de pression de vapeur (VPD). Quand la végétation et les sols sont plus secs, la végétation est plus susceptible à l’ignition, donc le risque de feu est plus élevé. Les années lors desquelles on mesure un VPD plus élevé sont les années associées à une quantité plus importante de feux (par exemple, l’été 2023 au Canada; Ressources naturelles Canada, 2023). Dans la région de l’Ouest nord-américain, le risque de feu augmente exponentiellement avec une augmentation du VPD; une petite augmentation de VPD a un impact énorme sur la superficie de forêt affectée par le feu.

L’UCS a utilisé des données disponibles et la modélisation afin de déterminer à quel point les émissions des 88 producteurs les plus importants (« big 88 » de pétrole et béton principalement) ont contribué à l’augmentation du VPD et donc à la superficie brûlée dans cette région. La méthode incluait les modèles globaux du bilan énergétique-cycle de carbone pour estimer le changement de température utilisant deux scénarios, un scénario avec les sources de CO2 des producteurs et un autre sans leurs émissions; le résultat est le changement de température associé aux émissions depuis 1900. Par la suite, les données d’observation et 28 modèles de climat global différents ont été utilisés pour évaluer le changement de VPD provoqué par les émissions. Les auteurs ont calculé que, sans les émissions de ces émetteurs, la superficie brûlée aurait été 37% moindre (intervalle de confiance 26-47%), résultant en 33,3 millions d’acres (13,5 millions d’ha) au lieu de 53 millions d’acres brûlés. La différence de 19,8 millions d’acres (8 millions de ha) équivaut à la taille de l’état du Maine ! Mais comment les grands producteurs d’émissions peuvent-ils être tenus responsables légalement ?

La responsabilité des compagnies pétrolières

Les auteurs suggèrent plusieurs approches à différents niveaux de gouvernement, incluant une enquête par le Congrès ou le Département de Justice aux États-Unis pour valider les campagnes de désinformation passées et actuelles. De plus, le président devrait appuyer des poursuites judiciaires contre ces compagnies; le Congrès devrait refuser l’immunité des compagnies par rapport à leur responsabilité légale. Au Canada, cela exigerait des positions similaires du Parlement canadien et de la Cour Suprême, et également l’arrêt de subventions fédérales aux industries pétrolières. La responsabilité véritable doit aussi inclure des modifications de comportement importantes de la part de ces pollueurs, incluant :

  • la fin des campagnes de désinformation ;
  • une réduction des émissions en phase avec les objectifs de l’Accord de Paris ;
  • la divulgation des risques réels et les coûts associés de leurs produits ;
  • l’arrêt du lobbyisme pour bloquer des politiques climatiques ;
  • le paiement des pertes et dommages et des mesures d’adaptation, incluant ceux reliés au feu.

Les industries impliquées seraient confrontées à un changement radical avec cette approche, parce qu’elles deviendraient enfin imputables pour leurs dommages.

Dans un contexte où le Canada aussi est averti d’un été 2024 similaire de celui de 2023 en termes de risque de feu (Jain et al.), on doit considérer toute une série d’autres mesures afin de se préparer pour limiter les dommages. Il est indéniable qu’il faut réduire rapidement les émissions pour atteindre au moins les objectifs de l’Accord de Paris. La diminution de risque de feu causé par les humains devrait être la cible des programmes de prévention et de protection d’infrastructures (ex. programme Intelli-Feu au Canada). Les auteurs suggèrent également une meilleure gestion de la végétation par deux principaux moyens : l’utilisation du feu contrôlé pour réduire les combustibles en forêt et l’utilisation des éclaircies (récoltes de tiges pour réduire la densité), encore pour réduire la continuité de matériel inflammable. Finalement, la sensibilisation des communautés aux risques pour la santé des feux (surtout la fumée) et à l’utilisation des sources d’eau post-feu est importante. Il est crucial d’analyser l’avenir des communautés situées dans les forêts, les coûts de l’assurance, et de repenser le zonage qui entraîne des situations dangereuses pour les résidents.

Conclusion

Déjà dans les années ’60, les compagnies pétrolières étaient au courant des impacts négatifs de leurs émissions sur le climat global. Mais leur stratégie a plutôt été de nier cet impact et de financer des campagnes de désinformation. Nous voyons émerger des poursuites judiciaires un peu partout actuellement afin de responsabiliser ces émetteurs, d’exiger le paiement des dommages et d’arrêter la désinformation autour des origines et des impacts des changements climatiques. Cette étude est un pas important dans cette direction par la quantification des risques de feu et de leur dommage. Mais le gouvernement fédéral doit agir concrètement notamment en supprimant les subventions à l’industrie pétrolière et en mettant en place un principe du pollueur-payeur pour compenser les dépenses publiques reliées aux feux de forêts.

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